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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/448

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Il s’en servit quatre semaines sans incident. Mais un soir qu’il revenait de tournée, il trouva chez lui un domestique du château de Navailles. Le comte, malade depuis un mois, était à toute extrémité.

Géroze s’étonna qu’on recourût à son ministère. Le comte, vieux noble farouche, qu’il avait souvent rencontré, toujours à cheval, galopant à travers champs, ou forçant quelque sanglier derrière sa meute hurlante, passait pour un grand mangeur de curés. Il fallait qu’il fût bien bas pour appeler à son chevet un de ceux qu’il appelait des corbeaux de malheur.

Sans demander d’explication, Géroze remonta dans sa voiture et partit.

Des murs ceignent le château, amas énorme de tours, de donjons et de courtines crénelées. Un pont-levis fonctionne encore, comme jadis. On est surpris, en entrant, de ne pas croiser des hommes d’armes et des hallebardiers.

On conduisit l’abbé par des couloirs et des galeries jusqu’à une grande chambre que trois bougies fumeuses éclairaient vaguement. Le comte était couché là, maigre comme un squelette et pâle comme un mort. Personne auprès de son lit.

Il se tourna vers le prêtre et le regarda longtemps.

L’abbé Géroze lui dit :

— Confessez-vous, mon fils !

Il ne répondit point. Avait-il même entendu ? Aucune lueur ne brillait dans ses yeux ternes.

Mais soudain il s’accouda, fit un effort comme pour appeler l’attention du prêtre, puis, tout à coup, éclata de rire et scanda très nettement :

— C’est moi, vous entendez, l’abbé, c’est moi… moi, le vieux comte de Navailles…

Que voulait-il dire ? Son visage avait une expression méchante et railleuse qui gêna le prêtre.

— C’est moi !… c’est moi ! reprit le moribond… toutes les bicyclettes, les vôtres, monsieur le curé, les trois vô-