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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/464

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Restait Adrienne Lucre. Elle pleura.

C’était une petite personne maigre et pointue, avec deux nattes blondes qui se tenaient tout droit comme des épis de seigle. On lui avait toujours dit qu’à dix-huit ans une jeune fille devenait un personnage important, et voilà qu’on la privait dès le premier jour du double plaisir de la messe de minuit et de l’automobile. Il y avait de quoi pleurer.

Antoine Chanfrein — adolescent pâle et dégingandé — s’offrit à la conduire. M. et Mme Chanfrein insistèrent. M. Lucre céda. Mais Mme Lucre poussa les hauts cris.

— Vous n’y pensez pas !… Que dirait on ?… Ma fille seule avec un monsieur !

— Un de vos domestiques accompagnerait nos enfants.

— Impossible. J’ai besoin d’eux pour préparer le souper.

— Eh bien, quoi, mon fils est un garçon sérieux…

Mme Lucre finit par céder à son tour, et les deux jeunes gens, enveloppés d’épaisses fourrures, s’en allèrent dans la nuit glaciale.

— Ah ! fit Mme Lucre en soupirant, ma mère n’aurait jamais consenti… mais ces jeunes filles d’aujourd’hui !…

Elle vit bien, lorsque les invités du souper furent mis au courant, que sa faiblesse maternelle était sévèrement jugée. Ces dames Fromage et Durécu prirent un air pincé. Mlle Lasseiche sourit de biais.

Et l’effet fut d’autant plus désastreux qu’à une heure du matin l’automobile n’était pas de retour. Un accident ?

— Jamais, protesta M. Chanfrein, Antoine est trop précautionneux.