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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/470

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mille francs à la minute même de l’enlèvement.

— Voici les quatre mille francs. Il y en aura autant à la minute même du non-enlèvement.

La comtesse aligna sur la table quatre billets bleus, et posément, sans la moindre gêne, poursuivit :

— J’aime beaucoup M. Colange, je l’aime énormément, et je suis prête à lui faire tous les sacrifices. Je lui en ai fait même de très grands, dont il doit m’avoir la plus profonde reconnaissance. Seulement, la situation se présente sous un aspect qu’il ne voit pas avec toute la netteté suffisante, et que vous allez voir, vous, Madame, parce que vous êtes une femme, une vraie femme… Oh ! c’est bien simple… Voilà la chose en deux mots. Mon mari à trois cent mille francs de rente, sans compter quelques héritages à recueillir. Alors vous comprenez l’embarras où je me trouve, placée entre l’attachement tout légitime que je dois à mon mari, et l’amour, l’amour immense que j’éprouve pour M. Colange. D’un côté, l’épouse ne peut pas renoncer… aux avantages que lui confère son titre. Et, de l’autre, je ne veux pas désoler un ami que j’aime autant que j’aime M. Colange, et me refuser à un acte dont dépend tout son bonheur. J’aurais l’air d’obéir à certaines considérations mesquines, aussi indignes de lui que de moi. J’ai donc accepté avec enthousiasme l’enlèvement qu’il m’a proposé et qu’il s’ingénie à parer de toute la poésie et de tout le mystère que comportent les conditions de la vie moderne. Mais je compte sur vous, chère Madame…