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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/87

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Nous avions descendu la côte de Saint-Georges et nous glissions le long de la Seine, entre le beau fleuve paisible et les falaises blanches. Je lui dis :

— Je vous ai toujours connue, n’est-ce pas ?

— Toujours, et tout le monde me connaît ainsi dès la première heure. Ce m’est pas à dire qu’il n’y ait rien de caché en moi… car enfin, j’ai mes secrets. par exemple, cette excursion…

Elle s’interrompit, resta pensive et murmure :

— Nous verrons bien.

Et elle se remit à parler, insouciante et naïve comme auparavant.

Un arrêt à Auclair pour nous rafraichir, et nous repartîmes. On monta, on redescendit, puis, près des vieux arbres majestueux qui environnent le château du Taillis, elle quitta la grand’route et prit à gauche un chemin qui s’enfonce sous bois.

— Vous n’avez pas peur ? me demanda-t-elle.

— Non, je vous suivrais en enfer.

— Nous y allons peut-être.

Une ombre encore passa sur son visage mobile. Son allure devint moins vive. Il me sembla même qu’elle hésitait et qu’elle était sur le point de s’arrêter.

Ce ne fut qu’un instant. Nous continuâmes. Néanmoins cet instant revint, et, l’ayant regardée, je la trouvai très pâle. Elle me dit :

— Mettez votre main sur mon épaule… bien… plus près…

Elle me sourit d’un air très doux. J’eus envie de l’attirer contre moi, tellement ses cheveux blonds, ses joues roses, tout son visage frais tentaient mes lèvres,

Mais du doigt elle désignait une clairière qui s’ouvrait à cent pas devant nous :

— Le carrefour du Maudit !

Sa main tremblait un peu. Sa voix aussi avait tremblé, et à mesure que nous approchions, je notais qu’elle se