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Page:Leblanc - Arsène Lupin, nouvelles aventures d'après les romans, 1909.djvu/24

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L’ILLUSTRATION THÉÂTRALE

Le Duc, la regardant fixement. — Vous n’avez aucune inquiétude à avoir.

Sonia regarde le duc et cesse de résister. Guerchard fouille dans la poche désignée. Il y trouve le papier et le déplie.

Guerchard, entre ses dents. — Plus rien. (Tout haut.) Je vous adresse toutes mes excuses, mademoiselle.

Sonia va pour sortir et chancelle.

Le Duc, se précipitant. — Vous vous trouvez mal ?

Sonia, bas. — Merci, merci, vous m’avez sauvée.

Guerchard. — Je suis sincèrement désolé !

Sonia. — Non, ça ne fait rien.

Elle sort.

Germaine, à son père. — Cette pauvre Sonia !… Je vais lui parler !

Ils sortent tous trois.

Le Juge, à part. — Vous vous êtes lourdement trompé, Guerchard.

Guerchard, qui n’a cessé de tenir le papier entre ses mains et de l’examiner. — Je voudrais que personne ne sorte sans un mot de moi.

Le Juge, souriant. — Personne, excepté Mlle Sonia ?

Guerchard. — Elle moins que tout autre.

Le Juge. — Comprends pas.

L’Agent, entrant vivement. — Monsieur le juge ?

Le Juge, se retournant. — Quoi ?

L’Agent. — Dans le jardin… on a trouvé ce lambeau d’étoffe au bord du puits. Les concierges ont reconnu que c’était un morceau d’une robe à Victoire.

Le Juge. — Sacrebleu !

Il prend le morceau d’étoffe.

Gournay-Martin. — Voilà l’explication !… Un assassinat…

Le Juge, vivement. — Il faut y aller… c’est possible après tout. D’autant plus qu’à propos du jardin il y a des traces de plâtre là sous ce livre. Je les ai découvertes. Oui, il faut y aller.

Guerchard, calmement, sans bouger. — Non, tout au moins il ne faut pas y aller pour chercher Victoire.

Le Juge. — Pardon, mon cher ! mais ce lambeau d’étoffe…

Guerchard, à Gournay-Martin. — Ce lambeau d’étoffe ?… Avez-vous un chien ou, plutôt, un chat dans la maison ?

Le Juge, indigné. — Guerchard.

Guerchard. — Pardon, c’est très important.

Gournay-Martin. — Oui, je crois, il y a une chatte, celle du concierge.

Guerchard. — Eh bien, voilà, ce lambeau d’étoffe a été apporté ici par la chatte… tenez, regardez les griffes.

Le Juge. — Voyons ! c’est fou ! Ça ne tient pas debout. Il s’agit d’un assassinat, peut-être de l’assassinat de Victoire.

Guerchard. — Victoire n’a jamais été assassinée.

Le Juge. — Mon cher, personne n’en sait rien.

Guerchard, dialogue très rapide. — Si… moi…

Le Juge. — Vous ?

Guerchard. — Oui.

Le Juge. — Alors, comment expliquez-vous qu’elle ait disparu ?

Guerchard. — Si elle avait disparu, je ne l’expliquerais pas.

Le Juge, furieux. — Mais puisqu’elle a disparu.

Guerchard. — Non.

Le Juge. — Vous n’en savez rien.

Guerchard. — Si.

Le Juge. — Hein ? Vous savez où elle est ?

Guerchard. — Oui.

Le Juge. — Mais dites-nous tout de suite que vous l’avez vue ?

Guerchard. — Oui, je l’ai vue !

Le Juge. — Vous l’avez vue ! Quand ?

Guerchard. — Il y a deux minutes.

Le Juge. — Mais, sacrebleu, vous n’êtes pas sorti de cette pièce !

Guerchard. — Non.

Le Juge. — Et vous l’avez vue ?

Guerchard. — Oui.

Le Juge. — Mais, sacré nom d’un chien, dites nous alors où elle est, dites-nous-le.

Guerchard. — Mais vous ne me laissez pas parler.

Le Juge, hors de lui. — Alors, parlez.

Guerchard. — Eh bien, voilà, elle est ici.

Le Juge. — Comment ici. Comment serait-elle arrivée ici ?

Guerchard. — Sur un matelas.

Le Juge. — Ah çà ! Guerchard, vous vous foutez du monde !

Guerchard. — Tenez. (Il va vers la cheminée, écarte les chaises et le paravent. On aperçoit Victoire, bâillonnée, ligotée sur un matelas. Stupéfaction.) Hé là ! elle dort bien… Il y a encore par terre le masque de chloroforme. (À l’agent.) Emportez-la.

Le Juge, sévèrement, au commissaire. — Vous n’aviez donc pas fouillé la cheminée, monsieur le commissaire ?

Le Commissaire. — Mais non !

Le Juge. — C’est une faute, monsieur le commissaire, une faute impardonnable… Allons, vite, qu’on l’emporte… Mais, sapristi, vous avouerez qu’il était matériellement impossible… L’agent et le commissaire emportent Victoire.

Guerchard. — À quatre pattes, c’est possible. Quand on est à quatre pattes on voit deux talons qui dépassent. Alors, n’est-ce pas ?…

Le Juge, à Guerchard. — Ça bouleverse tout. Dans ces conditions, je n’y comprends plus rien. Je suis complètement dérouté. Et vous ?

Guerchard, bonhomme. — Heu, heu !…

Le Juge. — Vous n’êtes pas dérouté, vous ?

Guerchard. — Non. Est-ce que vous avez commencé votre enquête du côté du jardin ?

Le Juge, sursautant. — J’allais la faire, naturellement ! D’autant que j’ai vu des choses intéressantes, une maison en construction.

Ils sortent.


Scène VI

LE DUC, puis SONIA, puis GUERCHARD

Le duc jette un coup d’œil sur la pièce à côté pour regarder si on ne le voit pas, puis il tire le pendentif de sa poche et le regarde.

Le Duc, seul. — Une voleuse !

Sonia, entrant, affolée. — Pardon ! Pardon !

Le Duc. — Une voleuse, vous !

Sonia. — Oh !

Le Duc. — Prenez garde, ne restez pas là.

Sonia, même jeu. — Vous ne voulez plus me parler ?

Le Duc. — Guerchard se doute de tout !… Il est dangereux que nous causions là.

Sonia. — Quelle opinion avez-vous de moi, maintenant ? Ah ! mon Dieu ! Mon Dieu !