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Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmes, 1914.djvu/45

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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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partement dans ses moindres détails ; avec Suzanne Gerbois, à laquelle il avait télégraphié de venir et qu’il interrogea sur la Dame blonde, avec la sœur Auguste enfin, retirée au couvent des Visitandines depuis l’assassinat du baron d’Hautrec.

À chaque visite, Wilson attendait dehors, et chaque fois il demandait :

« Content ?

— Très content.

— J’étais certain, nous sommes sur la bonne voie. Marchons. »

Ils marchèrent beaucoup. Ils visitèrent les deux immeubles qui encadrent l’hôtel de l’avenue Henri-Martin, puis s’en allèrent jusqu’à la rue Clapeyron, et tandis qu’il examinait la façade du numéro 25, Sholmès continuait :

« Il est évident qu’il existe des passages secrets entre toutes ces maisons… Mais ce que je ne saisis pas… »

Au fond de lui, et pour la première fois, Wilson douta de la toute-puissance de son génial collaborateur. Pourquoi parlait-il tant et agissait-il si peu ?

« Pourquoi ? s’écria Sholmès, répondant aux pensées intimes de Wilson, parce que, avec ce diable de Lupin, on travaille dans le vide, au hasard, et qu’au lieu d’extraire la vérité de faits précis, on doit la tirer de son propre cerveau, pour vérifier si ensuite elle s’adapte bien aux événements.

— Les passages secrets, pourtant ?

— Et puis, quoi ! Quand bien même je les connaîtrais, quand je connaîtrais celui qui a permis à Lupin d’entrer chez son avocat, ou celui qu’a suivi la Dame blonde après le meurtre du baron d’Hautrec, en serais-je plus avancé ? Cela me donnerait-il des armes pour l’attaquer ?

— Attaquons toujours, s’exclama Wilson. »

Il n’avait pas achevé ces mots qu’il recula, avec un cri. Quelque chose venait de tomber à leurs pieds, un sac à moitié rempli de sable qui eût pu les blesser grièvement.

Sholmès leva la tête, au-dessus d’eux des ouvriers travaillaient sur un échafaudage accroché au balcon du cinquième étage.

« Eh bien ! nous avons de la chance, s’écria-t-il, un pas de plus et nous recevions sur le crâne le sac de l’un de ces maladroits. On croirait vraiment… »

Il s’interrompit, puis bondit vers la maison, escalada les cinq étages, sonna, fit irruption dans l’appartement, au grand effroi du valet de chambre, et passa sur le balcon. Il n’y avait personne.

« Les ouvriers qui étaient là ?… dit-il au valet de chambre.

— Ils viennent de s’en aller.

— Par où ?

— Mais par l’escalier de service. »

Sholmès se pencha. Il vit deux hommes qui sortaient de la maison, leurs bicyclettes à la main. Ils se mirent en selle et disparurent.

« Il y a longtemps qu’ils travaillent sur cet échafaudage ?

— Ceux-là ? depuis ce matin seulement. C’étaient des nouveaux. »

Sholmès rejoignit Wilson.

Ils rentrèrent mélancoliquement et cette seconde journée se termina dans un mutisme morne.

Le lendemain, programme identique. Ils s’assirent sur le même banc de l’avenue Henri-Martin, et ce fut, au grand désespoir de Wilson, qui ne s’amusait nullement, une interminable station vis-à-vis des trois immeubles.

« Qu’espérez-vous, Sholmès ? que Lupin sorte de ces maisons ?

— Non.

— Que la dame blonde apparaisse ?

— Non.

— Alors ?

— Alors j’espère qu’un petit fait se produira, un tout petit fait quelconque, qui me servira de point de départ.

— Et s’il ne se produit pas ?

— En ce cas, il se produira quelque chose en moi, une étincelle qui mettra le feu aux poudres. »

Un seul incident rompit la monotonie de cette matinée, mais de façon plutôt désagréable. Le cheval d’un monsieur, qui suivait l’allée cavalière située entre les deux chaussées de l’avenue fit un écart et vint heurter le banc où ils étaient assis, en sorte que sa croupe effleura l’épaule de Sholmès.

« Eh ! eh ! ricana celui-ci, un peu plus j’avais l’épaule fracassée ! »

Le monsieur se débattait avec son cheval. L’Anglais tira son revolver et visa. Mais Wilson lui saisit le bras vivement :

« Vous êtes fou, Herlock ! Voyons… quoi !… vous allez tuer ce gentleman !

— Lâchez-moi donc, Wilson, lâchez-moi. »

Une lutte s’engagea, pendant laquelle le monsieur maîtrisa sa monture et piqua des deux.

« Et maintenant, tirez dessus, s’exclama Wilson triomphant, lorsque le cavalier fut à quelque distance.

— Mais, triple imbécile, vous ne comprenez donc pas que c’était un complice d’Arsène Lupin ? »

Sholmès tremblait de colère. Wilson, piteux, balbutia :

— Que dites-vous ? ce gentleman ?…

— Complice de Lupin, comme les ouvriers qui nous ont lancé le sac sur la tête.

— Est-ce croyable ?