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Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmes, 1914.djvu/55

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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
49

Dès que l’entrebâillement fut assez large, la dame passa… et disparut, emportant la lampe.

Le système était simple. Sholmès l’employa.

Il marcha dans l’obscurité, à tâtons, mais tout de suite sa figure heurta des choses molles. À la flamme d’une allumette, il constata qu’il se trouvait dans un petit réduit encombré de robes et de vêtements qui étaient suspendus à des tringles. Il se fraya un passage et s’arrêta devant l’embrasure d’une porte close par une tapisserie ou du moins par l’envers d’une tapisserie. Et son allumette s’étant consumée, il aperçut de la lumière qui perçait la trame lâche et usée de la vieille étoffe.

Alors il regarda.

La Dame blonde était là, sous ses yeux, à portée de sa main.

Elle éteignit la lampe et alluma l’électricité. Pour la première fois Sholmès put voir son visage en pleine lumière. Il tressaillit. La femme qu’il avait fini par atteindre après tant de détours et de manœuvres n’était autre que Clotilde Destange.

Clotilde Destange, la meurtrière du baron d’Hautrec, et la voleuse du diamant bleu ! Clotilde Destange, la mystérieuse amie d’Arsène Lupin ! La Dame blonde, enfin !

« Eh oui, parbleu, pensa-t-il, je ne suis qu’un âne bâté. Parce que l’amie de Lupin est blonde et Clotilde brune, je n’ai pas songé à rapprocher les deux femmes l’une de l’autre ! Comme si la Dame blonde pouvait rester blonde après le meurtre du baron et le vol du diamant ! »

Sholmès voyait une partie de la pièce, élégant boudoir de femme, orné de tentures claires et de bibelots précieux. Une méridienne d’acajou s’allongeait sur une marche basse. Clotilde s’y était assise, et demeurait immobile, la tête entre ses mains. Et, au bout d’un instant, il s’aperçut qu’elle pleurait. De grosses larmes coulaient sur ses joues pâles, glissaient vers sa bouche, tombaient goutte à goutte sur le velours de son corsage. Et d’autres larmes les suivaient indéfiniment, comme surgies d’une source inépuisable. Et c’était le spectacle le plus triste qui fût que ce désespoir morne et résigné qui s’exprimait par la lente coulée de larmes.

Mais une porte s’ouvrit derrière elle. Arsène Lupin entra.

Ils se regardèrent longtemps, sans dire une parole, puis il s’agenouilla près d’elle, lui appuya la tête sur sa poitrine, l’entoura de ses bras, et il y avait dans le geste dont il enlaçait la jeune fille une tendresse profonde et beaucoup de pitié. Ils ne bougeaient pas. Un doux silence les unit, et les larmes coulaient moins abondantes.

« J’aurais tant voulu vous rendre heureuse ! murmura-t-il.

— Je suis heureuse.

— Non, puisque vous pleurez… Vos larmes me désolent, Clotilde. »

Malgré tout, elle se laissait prendre au son de cette voix caressante, et elle écoutait, avide d’espoir et de bonheur. Un sourire amollit son visage, mais un sourire si triste encore ! Il la supplia :

« Ne soyez pas triste, Clotilde, vous ne devez pas l’être. Vous n’en avez pas le droit. »

Elle lui montra ses mains blanches, fines et souples et dit gravement :

« Tant que ces mains seront mes mains, je serai triste, Maxime.

— Mais pourquoi ?

— Elles ont tué. »

Maxime s’écria :

« Taisez-vous ! ne pensez pas à cela… le passé est mort, le passé ne compte pas. »

Et il baisait ses longues mains pâles, et elle le regardait avec un sourire plus clair comme si chaque baiser eût effacé un peu de l’horrible souvenir.

« Il faut m’aimer, Maxime, il le faut, parce qu’aucune femme ne vous aimera comme moi. Pour vous plaire, j’ai agi, j’agis encore, non pas même selon vos ordres, mais selon vos désirs secrets… J’accomplis des actes contre lesquels tous mes instincts et toute ma conscience se révoltent, mais je ne peux pas résister… Tout ce que je fais, je le fais machinalement, parce que cela vous est utile, et que vous le voulez… et je suis prête à recommencer demain… et toujours. »

Il dit avec amertume :

« Ah ! Clotilde, pourquoi vous ai-je mêlée à ma vie aventureuse ? J’aurais dû rester le Maxime Bermond que vous avez aimé, il y a cinq ans, et ne pas vous faire connaître… l’autre homme que je suis. »

Elle dit très bas :

« J’aime aussi cet autre homme, et je ne regrette rien.

— Si, vous regrettez votre vie passée, la vie au grand jour.

— Je ne regrette rien quand vous êtes là, dit-elle passionnément ! Il n’y a plus de faute, il n’y a plus de crime quand mes yeux vous voient. Que m’importe d’être malheureuse loin de vous, et de souffrir, et de pleurer et d’avoir horreur de tout ce que je fais ! votre amour efface tout… j’accepte tout… Mais il faut m’aimer !…

— Je ne vous aime pas parce qu’il le faut, Clotilde, mais pour l’unique raison que je vous aime.

— En êtes-vous sûr ? » dit-elle toute confiante.

« Je suis sûr de moi comme de vous.