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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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— Je vous accuse d’avoir tué le baron d’Hautrec.

— Non, non, c’est une infamie !

— Vous avez tué le baron d’Hautrec, mademoiselle. Vous étiez entrée à son service sous le nom d’Antoinette Bréhat, dans le but de lui ravir le diamant bleu, et vous l’avez tué. »

De nouveau, elle murmura, brisée, réduite à la prière :

« Taisez-vous, monsieur, je vous en supplie ! Puisque vous savez tant de choses, vous devez savoir que je n’ai pas assassiné le baron.

— Je n’ai pas dit que vous l’aviez assassiné, mademoiselle. Le baron d’Hautrec était sujet à des accès de folie que, seule, la sœur Auguste pouvait maîtriser. Je tiens ce détail d’elle-même. En l’absence de cette personne, il a dû se jeter sur vous, et c’est au cours de la lutte, pour défendre votre vie, que vous l’avez frappé. Épouvantée par un tel acte, vous avez sonné, et vous vous êtes enfuie, sans même arracher du doigt de votre victime ce diamant bleu que vous étiez venue prendre. Un instant après, vous rameniez un des complices de Lupin, domestique dans la maison voisine, vous transportiez le baron sur son lit, vous remettiez la chambre en ordre… mais, toujours, sans oser prendre le diamant bleu. Voilà ce qui s’est passé. Donc, je le répète, vous n’avez pas assassiné le baron. Cependant, ce sont bien vos mains qui l’ont frappé. »

Elle les avait croisées sur son front, ses longues mains fines et pâles, et elle les garda longtemps ainsi, immobiles. Enfin, déliant les doigts, elle découvrit son visage douloureux et prononça :

« Et c’est tout ce que vous avez l’intention de dire à mon père ?

— Oui, et je lui dirai que j’ai comme témoins Mlle Gerbois, qui reconnaîtra la Dame blonde ; la sœur Auguste, qui reconnaîtra Antoinette Bréhat ; la comtesse de Crozon, qui reconnaîtra Mme de Réal. Voilà ce que je lui dirai.

— Vous n’oserez pas », dit-elle, recouvrant son sang-froid devant la menace d’un péril immédiat.

Il se leva et fit un pas vers la bibliothèque. Clotilde l’arrêta :

« Un instant, monsieur. »

Elle réfléchit, maîtresse d’elle-même maintenant et, fort calme, lui demanda :

« Vous êtes Herlock Sholmès, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Que voulez-vous de moi ?

— Ce que je veux ? J’ai engagé contre Arsène Lupin un duel dont il faut que je sorte vainqueur. Dans l’attente d’un dénouement qui ne saurait tarder beaucoup, j’estime qu’un otage aussi précieux que vous me donne sur mon adversaire un avantage considérable. Donc, vous me suivrez, mademoiselle ; je vous confierai à quelqu’un de mes amis. Dès que mon but sera atteint, vous serez libre.

— C’est tout ?

— C’est tout. Je ne fais pas partie de la police de votre pays, et je ne me sens par conséquent aucun droit… de justicier. »

Elle semblait résolue. Cependant, elle exigea encore un moment de répit. Ses yeux se fermèrent, et Sholmès la regardait, si tranquille soudain, presque indifférente aux dangers qui l’entouraient.

« Et même, songeait l’Anglais, se croit-elle en danger ? Mais non, puisque Lupin la protège. Avec Lupin, rien ne peut vous atteindre. Lupin est tout-puissant, Lupin est infaillible.

— Mademoiselle, dit-il, j’ai parlé de cinq minutes, il y en a plus de trente.

— Me permettez-vous de monter dans ma chambre, monsieur, et d’y prendre mes affaires ?

— Si vous le désirez, mademoiselle, j’irai vous attendre rue Montchanin. Je suis un excellent ami du concierge Jeanniot.

— Ah !… vous savez… fit-elle avec un effroi visible.

— Je sais bien des choses.

— Soit ! Je sonnerai donc ! »

On lui apporta son chapeau et son vêtement, et Sholmès lui dit :

« Il faut que vous donniez à M. Destange une raison qui explique notre départ, et que cette raison puisse, au besoin, expliquer votre absence pendant quelques jours.

— C’est inutile. Je serai ici tantôt. »

De nouveau, ils se défièrent du regard, ironiques tous deux et souriants.

« Comme vous êtes sûre de lui ! dit Sholmès.

— Aveuglément.

— Tout ce qu’il fait est bien, n’est-ce pas ? Tout ce qu’il veut se réalise ! Et vous approuvez tout, et vous êtes prête à tout pour lui !

— Je l’aime, dit-elle, frissonnante de passion.

— Et vous croyez qu’il vous sauvera ? »

Elle haussa les épaules, et, s’avançant vers son père, elle le prévint.

« Je t’enlève M. Stickmann. Nous allons à la Bibliothèque nationale.

— Tu rentres déjeuner ?

— Peut-être… ou plutôt, non… Mais ne t’inquiète pas… »

Et elle déclara fermement à Sholmès :

« Je vous suis, monsieur.

— Sans arrière-pensée ?

— Les yeux fermés.

— Si vous tentez de vous échapper, j’appelle, je crie ; on vous arrête, et c’est la prison. N’oubliez pas que la Dame blonde est sous le coup d’un mandat.