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Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmes, 1914.djvu/95

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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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de son aventure… Donc, Bresson averti, réunit en un seul paquet ce qui peut le compromettre, et il le jette dans un endroit où il lui est possible de le reprendre, une fois le danger passé. C’est au retour que, traqué par Ganimard et par moi, ayant sans doute d’autres méfaits sur la conscience, il perd la tête et se tue.

— Mais que contenait le paquet ?

— La lampe juive et vos autres bibelots.

— Ils ne sont donc pas en votre possession ?

— Aussitôt après la disparition de Lupin, j’ai profité du bain qu’il m’avait forcé de prendre pour me faire conduire à l’endroit choisi par Bresson, et j’ai retrouvé, enveloppé de linge et de toile cirée, ce qui vous fut dérobé. Le voici, sur cette table. »

Sans un mot le baron coupa les ficelles, déchira d’un coup les linges mouillés, en sortit la lampe, tourna un écrou placé sous le pied, fit effort des deux mains sur le récipient, le dévissa, l’ouvrit en deux parties égales, et découvrit la chimère en or, rehaussée de rubis et d’émeraudes.

Elle était intacte.

Il y avait dans toute cette scène, si naturelle en apparence, et qui consistait en une simple exposition de faits, quelque chose qui la rendait effroyablement tragique, c’était l’accusation formelle, directe, irréfutable, que Sholmès lançait à chacune de ses paroles contre Mademoiselle. Et c’était aussi le silence impressionnant d’Alice Demun.

Pendant cette longue, cette cruelle accumulation de petites preuves ajoutées les unes aux autres, pas un muscle de son visage n’avait remué, pas un éclair de révolte ou de crainte n’avait troublé la sérénité de son limpide regard. Que pensait-elle ? Et surtout qu’allait-elle dire à la minute solennelle où il lui faudrait répondre, où il lui faudrait se défendre et briser le cercle de fer dans lequel Herlock Sholmès l’emprisonnait si habilement ?

Cette minute avait sonné et la jeune fille se taisait.

« Parlez ! Parlez donc ! » s’écria M. d’Imblevalle.

Elle ne parla point.

Il insista :

« Un mot vous justifierait… Un mot de révolte, et je vous croirai. »

Ce mot, elle ne le dit point.

Le baron traversa vivement la pièce, revint sur ses pas, recommença, puis s’adressant à Sholmès :

« Eh bien, non, monsieur ! je ne peux pas admettre que ce soit vrai ! Il y a des crimes impossibles ! et celui-là est en opposition avec tout ce que je sais, tout ce que je vois depuis un an. »

Il appliqua sa main sur l’épaule de l’Anglais.

« Mais vous-même, monsieur, êtes-vous absolument et définitivement certain de ne pas vous tromper ? »

Sholmès hésita, comme un homme qu’on attaque à l’improviste et dont la riposte n’est pas immédiate. Pourtant il sourit et dit :

« Seule la personne que j’accuse pouvait, par la situation qu’elle occupe chez vous, savoir que la lampe juive contenait ce magnifique bijou.

— Je ne veux pas le croire, murmura le baron.

— Demandez-le-lui. »

C’était, en effet, la seule chose qu’il n’eût point tentée, dans la confiance aveugle que lui inspirait la jeune fille. Pourtant il n’était plus permis de se soustraire à l’évidence.

Il s’approcha d’elle, et, les yeux dans les yeux : « C’est vous, Mademoiselle ? C’est vous qui avez pris le bijou ? c’est vous qui avez correspondu avec Arsène Lupin et simulé le vol ? »

Elle répondit :

« C’est moi, Monsieur. »

Elle ne baissa pas la tête. Sa figure n’exprima ni honte ni gêne.

« Est-ce possible ! murmura M. d’Imblevalle… Je n’aurais jamais cru… vous êtes la dernière personne que j’aurais soupçonnée… Comment avez-vous fait, malheureuse ? »

Elle dit :

« J’ai fait ce que M. Sholmès a raconté. La nuit du samedi au dimanche, je suis descendue dans ce boudoir, j’ai pris la lampe, et, le matin, je l’ai portée… à cet homme.

— Mais non, objecta le baron, ce que vous prétendez est inadmissible.

— Inadmissible ! et pourquoi ?

— Parce que le matin j’ai retrouvé fermée au verrou la porte de ce boudoir. »

Elle rougit, perdit contenance et regarda Sholmès comme si elle lui demandait conseil.

Plus encore que par l’objection du baron, Sholmès sembla frappé par l’embarras d’Alice Demun. N’avait-elle donc rien à répondre ? Les aveux qui consacraient l’explication que lui, Sholmès, avait fournie sur le vol de la lampe juive, masquaient-ils un mensonge que détruisait aussitôt l’examen des faits ?

Le baron reprit :

« Cette porte était fermée. J’affirme que j’ai retrouvé le verrou comme je l’avais mis la veille au soir. Si vous aviez passé par cette porte, ainsi que vous le prétendez, il eût fallu que quelqu’un vous ouvrît