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Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/256

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L’ENTHOUSIASME

Vraiment la ville ne présentait rien d’anormal, tandis que je la traversais, ma valise à la main, affublé d’une pèlerine et d’une casquette. Les dames des magasins étaient à leurs comptoirs, Les passants n’avaient pas l’air de se douter que le fils Devrieux arpentait les rues une dernière fois. Tout s’accomplirait le plus naturellement du monde. Et la nouvelle dé notre fuite éclaterait dans les salons, dans les cafés, dans les boutiques, au Cercle, à la musique du dimanche, sans que le moindre symptôme eût préparé les esprits au choc de cet événement formidable.

J’en riais d’avance en suivant la longue avenue qui mène à la gare, et, grimpant sur l’esplanade d’un jardin public d’où l’on domine Saint-Jore, je me retournai vers la ville et la contemplai en des attitudes de triomphateur. Ainsi donc notre duel implacable se terminait à mon avantage. Malgré la coalition de tous les envieux et de tous les imbéciles, malgré les bavardages et les calomnies, malgré les préjugés, les conventions, les règles, les entraves, et tout ce que l’on m’avait opposé, je serais heureux selon mes instincts et ma volonté.

Mais mon départ eût été l’aveu d’une défaite et se fût effectué dans les circonstances les plus humiliantes, qu’il ne m’en eût pas moins réjoui comme la plus précieuse des victoires, puisque Geneviève s’en allait avec moi. Une heure encore, et elle viendrait par cette même route, elle arriverait à cet endroit, nos mains se joindraient,