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Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/110

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répondu, aux applaudissements de toute l’Assemblée : « Nous demandons, nous réclamons votre confiance absolue, votre confiance aveugle. Si certains d’entre vous la refusent au ministre, qu’ils l’accordent au Français. Car c’est un Français qui parle en votre nom. Et c’est un Français qui agira. »

Dans les couloirs de la Chambre, un député de l’opposition avait entonné la Marseillaise, reprise en chœur par tous ses collègues.

Et ce fut la contre-partie, les dépêches venant d’Allemagne, la presse chauvine exaspérée, tous les journaux du soir intransigeants, agressifs, Berlin tumultueux…

À minuit, ils s’en revinrent, et, bien qu’une émotion pareille les étreignît, elle suscitait en eux des idées si différentes qu’ils n’échangèrent pas une parole. Morestal lui-même, qui ne connaissait point le divorce de leurs esprits, n’osait s’abandonner à ses discours habituels.

Le lendemain, la Gazette de Bœrsweilen annonça des mouvements de troupes vers la frontière. L’empereur, qui croisait dans la mer du Nord, avait débarqué à Ostende. Le chancelier l’attendait à Cologne. Et l’on pensait que notre ambassadeur se rendrait également au-devant de lui.

Dès lors, toute cette journée du vendredi et toute celle du samedi, les hôtes du Vieux-Moulin vécurent un affreux cauchemar. La tempête secouait maintenant la France entière, et l’Allemagne, toute l’Europe frémissante. Ils l’entendaient rugir. La terre craquait sous son effort. Quel cataclysme épouvantable allait-elle provoquer ?

Et eux, qui l’avaient déchaînée, acteurs infimes relégués à l’arrière-plan, comparses dont le rôle était fini, ils ne pouvaient plus rien voir du spectacle que des lueurs lointaines et sanglantes.

Philippe s’enfermait dans un silence farouche qui désolait sa femme. Morestal était agité, nerveux, d’humeur exécrable.