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Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/155

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lets clos. Elle était assise au bord d’une chaise, et, ployée en deux, elle tenait ses poings contre sa mâchoire et serrait les dents pour ne pas crier. Cela lui eût fait du bien de pleurer, et elle croyait parfois que sa douleur allait ainsi s’épandre en sanglots, mais les larmes bienfaisantes ne mouillèrent pas ses yeux. Et obstinément, rageusement, elle reprenait toute l’histoire lamentable, évoquant le séjour de Suzanne à Paris, les promenades auxquelles Philippe conviait la jeune fille et d’où ils revenaient tous deux avec un air de telle allégresse, leur réunion au Vieux-Moulin, le départ de Philippe pour Saint-Élophe, et, le lendemain, l’attitude étrange de Suzanne, ses questions équivoques, son mauvais sourire de rivale qui cherche à blesser l’épouse et qui rêve de la supplanter. Oh ! la cruelle aventure et comme la vie, si douce auparavant, lui semblait odieuse et méchante !

À six heures, poussée par la faim, elle se rendit à la salle. Au moment d’en sortir, après avoir mangé un peu de pain et bu un verre d’eau, elle aperçut Mme Morestal qui descendait les marches du perron à la rencontre du docteur. Elle se souvint alors que son beau-père était malade, et qu’elle ne l’avait pas encore vu. La chambre était proche. Elle traversa le couloir, frappa, entendit une voix — la voix d’une garde sans doute — qui disait : « Entrez ». Et elle ouvrit la porte.

En face d’elle, à quelques pas, près du vieillard endormi, Suzanne apparut.

— Toi ! toi ! gronda Marthe… Toi, ici !

Suzanne se mit à trembler sous son regard et balbutia :

— C’est ton beau-père… il a exigé… Le docteur est venu…

Et, les genoux fléchissants, elle dit à plusieurs reprises :

— Je te demande pardon… Pardonne-moi… pardonne-moi… C’est ma faute… Jamais Philippe…

Marthe ne bougeait pas. Peut-être eût-elle pu se contenir. Mais, au nom de Phi-