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Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/94

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tuation où je me trouve, une situation affreuse d’où il m’est impossible de sortir sans…

Il n’alla pas plus loin. Dans un élan instinctif, bouleversé par l’arrivée du juge d’instruction et par une vision subite des événements prochains, il avait apostrophé son père. Il voulait parler, dire les mots qui le délivreraient. Quels mots ? Il ne savait pas au juste. Mais tout, tout plutôt que de faire un faux témoignage et d’apposer sa signature au bas d’une déposition mensongère !

Il balbutia d’abord, le cerveau en déroute, et cherchant en vain une solution admissible. Comment s’arrêter sur la pente où l’entraînait un jeu de forces ennemies, de hasards, de coïncidences et de petits faits implacables ? Comment rompre le cercle qu’un destin cruel s’ingéniait à tracer autour de lui ?

Il n’y avait qu’un moyen, auquel il se heurtait tout à coup sans l’avoir aperçu : la vérité immédiate, la révélation brutale de sa conduite.

Il frissonna de dégoût. Accuser Suzanne ! Était-ce cela, l’idée obscure qui l’animait à son insu ? Pour se sauver, avait-il pensé à la perdre ? Il eut alors la conscience exacte de sa détresse, car il aurait préféré mille fois mourir plutôt que de déshonorer la jeune fille, fût-ce aux seuls yeux de son père.

Morestal, dont la toilette était achevée, plaisanta.

— C’est tout ce que tu avais à me confier ?

— Oui… je me suis trompé… répliqua Philippe… j’avais cru…

Il s’était appuyé au balcon de la fenêtre et regardait vaguement le grand parc anglais que forment les bouquets d’arbres et les prairies onduleuses des Vosges. D’autres pensées maintenant l’obsédaient, qui se mêlaient à son propre tourment. Il revint vers le vieux Morestal.

— Vous êtes bien sûr que l’arrestation a été opérée sur le territoire français ?

— Ah ! ça, tu es fou ?