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Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/12

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Flossie, ce diminutif charmant, allait bien à cette radieuse jeune fille, dont la beauté semblait éclairer cette morne geôle.

Elle paraissait grande et élancée dans sa souple robe de velours noir rayé de larges bandes blanches, dont le corsage échancré dégageait le cou délicat que caressait une fourrure de renard blanc. Elle avait un joli visage au teint pur, à la bouche fraîche, aux grands yeux parfois rêveurs et presque graves, parfois pétillants d’une gaieté d’enfant, au front blanc que couvraient à demi les cheveux bruns bouffants sous la gracieuse toque blanche. Tout en elle était harmonieux, séduisant et l’humeur capricieuse et fantaisiste de Florence Travis, son dédain pour les futiles préoccupations qui absorbaient les autres jeunes filles, l’originalité sincère et spontanée de ses goûts et de ses idées ajoutaient une sorte de personnalité savoureuse et prenante à son caractère indépendant, volontaire, mais foncièrement droit et dont le signe distinctif était une compassion ardente pour toutes les misères et toutes les infortunes.

Et c’était ce dernier sentiment que partageait et encourageait Mme Travis qui, ce matin-là, amenait Florence dans le lugubre asile où tant de misérables épaves du crime et de la folie étaient détenues.

À l’appel de Mme Travis, la jeune fille s’était retournée.

— Oui, mère, je viens. Je regardais cette grille si lourde, si impitoyable, répondit-elle avec une sorte de frisson. Je pense aux malheureux sur qui elle est fermée comme la dalle d’un tombeau…

— C’est pas souvent du monde bien fameux, ma belle demoiselle, intervint le vieux gardien, et qui n’est pas toujours digne de votre charité.

Florence ne répondit pas.

Le gardien les précéda jusqu’au cabinet du directeur.

Celui-ci, assis à son bureau, au fond de la grande pièce sévère, aux murs couverts de casiers administratifs, se leva pour recevoir les deux dames.

Le directeur, M. Miller, était un homme froid, morose et solennel, qui souffrait de l’estomac, ce qui assombrissait encore son caractère, déjà peu enclin à la gaieté.

Il exerçait ses fonctions avec une autorité indifférente et la régularité d’un rouage qui concourt automatiquement à la marche de la grande machine judiciaire.

Mais nul n’échappait au charme de Florence. En la voyant, M. Miller se souvint qu’il était un homme, qu’il avait jadis été jeune et peut-être amoureux et que l’humanité n’est pas tout entière composée de prisonniers et de gardiens. Il eut un sourire aimable en indiquant des sièges.

— Vous ne vous découragez donc pas, mademoiselle ? Vous continuez votre œuvre malgré les déceptions qu’elle vous a procurées ? C’est une belle abnégation et une noble tâche pour une jeune fille.

— Pourquoi me découragerais-je ? interrompit Florence. Ce n’est pas parce que j’ai eu quelques déceptions comme vous dites… Oui, oui, monsieur Miller, ajouta-t-elle en riant, je sais bien que Jones, dont l’hiver dernier, je me suis occupée, a essayé de faire cambrioler notre résidence de Blanc-Castel, et que Bates a vendu, pour boire, le cheval et la voiture que nous lui avions achetés pour son métier de marchand ambulant, si bien que, pendant un mois, il a été ivre-mort… Mais je sais très bien aussi que j’ai réussi plus souvent que je n’ai échoué et que plusieurs de vos anciens pensionnaires, grâce à l’aide que nous leur avons donnée, sont maintenant rentrés dans le droit chemin et gagnent honnêtement leur vie. On ne réussit pas à chaque tentative, vous ne l’ignorez pas, monsieur Miller, et c’est très beau déjà de réussir quelquefois… J’ai tant de pitié pour tous ces déshérités, pour toutes ces épaves de la vie qui, bien souvent, sont plus à plaindre qu’à blâmer…

Elle s’arrêta les yeux brillants, son joli visage tout animé d’émotion.

Le directeur la regardait avec une admiration visible, où il y avait un peu d’étonnement railleur.

— Hélas ! mademoiselle Travis, voilà un enthousiasme qu’un vieux fonctionnaire comme moi ne peut plus ressentir. J’ai vu trop de choses… Mais cela ne m’empêche pas d’apprécier vos préoccupations humanitaires… et votre zèle infatigable… Vous êtes si différente des autres jeunes filles !…

— Je ne sais pas si je suis différente, dit Florence ; en tout cas, je n’ai pas grand mérite, car je sais bien que tout ce qui amuse mes amies ne m’amuse pas du tout, moi ! Et quand on est riches et heureuses comme nous le sommes, c’est un devoir de s’occuper des pauvres gens…

— Sans doute, sans doute… reprit M. Miller. Mais vous venez, mesdames, pour voir le fameux Jim Barden, qu’on va libérer… Si votre influence s’exerce sur cet homme-là, mademoiselle Travis, j’en serai