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Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/40

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fut descendue pour déjeuner en compagnie de Mme Travis, la vieille gouvernante s’empressa d’entrer dans l’appartement de la jeune fille. Des fleurs, qu’elle apportait pour en garnir les vases, serviraient de prétexte à sa présence, si Florence survenait.

Dès qu’elle fut chez la jeune fille, Mary ferma la porte avec soin et s’approcha de la cheminée. Le vent de sa robe fit voleter dans l’âtre les vestiges consumés des papiers mystérieux que Florence, la veille au soir, y avait brûlés.

Mary se pencha vers les cendres froides et, soudain, eut une faible exclamation. Parmi les débris noirs et légers, elle avait distingué une tache blanche. C’était une feuille roussie, en partie consumée, mais dont, le feu avait épargné plus de la moitié. Des lignes d’écriture la couvraient. Mary put déchiffrer ce qui suit :

   « Au 19 juin prochain, j
sieur Karl Bauman dix dollars,
acompte sur mon emprunt de cent
lars (100), plus les intérêts au
10 % par semaine. Total : vingt
(20).

 » John Peterson. »

Surprise, déçue, ne trouvant aucun intérêt à ce vestige, qui ne pouvait en rien, estimait-elle, toucher de près ou de loin à Florence, Mary le rejeta dans l’âtre. Elle se sentait rassurée et rassérénée, ses préoccupations et ses craintes, lui parurent chimériques, elle disposa les fleurs dans deux vases posés sur la coiffeuse et descendit.

Dans le vaste vestibule, dont la large porte s’ouvrait sur le parc frais et parfumé, Florence et Mme Travis, assises côte à côte, causaient affectueusement. La jeune fille, exquise dans un kimono blanc à grandes fleurs brochées, racontait à sa mère une histoire qui la faisait rire elle-même avec un abandon d’enfant.

Yama, le domestique japonais, entra. Il apportait, sur un plateau, le courrier.

Mme Travis prit un journal et le déplia, pendant que sa fille parcourait les lettres qui étaient pour elle, invitations ou réponses de fournisseurs.

Tout à coup, Mme Travis poussa une exclamation.

— Flossie, mon enfant, lis donc ce fait divers ! C’est vraiment la chose la plus extraordinaire !…

Florence prit le journal, jeta les yeux sur l’entrefilet que lui indiquait sa mère et lut tout haut, sans que la plus faible nuance d’émotion modifiât le timbre limpide de sa voix :

« Une voleuse en voile noir

» M. Karl Bauman, l’agent d’affaires bien connu, vient d’être victime d’un vol, accompli d’une façon aussi audacieuse que mystérieuse. Une inconnue, entièrement voilée de noir, s’est introduite chez lui et lui a dérobé une forte liasse de reconnaissances de prêts. La voleuse, ensuite, à l’aide d’un stratagème habile, a pu emprunter, pour s’enfuir, la propre auto de sa victime et a disparu sans laisser de traces. M. Randolph Allen, chef de police, poursuit lui-même l’enquête. »

— Oui, c’est vraiment curieux, dit tranquillement la jeune fille, en reposant le journal.

Ni elle ni sa mère ne prirent garde à Mary, qui descendait au moment où Florence avait commencé à lire. La vieille gouvernante s’était arrêtée en haut de l’escalier, et, sans se montrer, avait écouté.

Quand Florence eut achevé, Mary, très pâle, regagna sans bruit le palier, entra dans la chambre de Florence, et, parmi les cendres de la cheminée, ramassa le papier à demi brûlé qu’elle y avait rejeté, le trouvant sans intérêt.

Elle le relut, réfléchit un moment et dissimula le document dans son corsage. En hâte, elle gagna la chambre qu’elle occupait, mit rapidement son chapeau et son manteau, et, par une porte de derrière, sortit de la maison.

Un quart d’heure après, Mary entrait chez M. Bauman.