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Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/53

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Le gardien tendit à Florence un objet qu’elle prit et considéra avec étonnement.

C’était la moitié d’un bracelet de corail rouge.

— Croiriez-vous, continua le gardien, Jim avait caché ça dans un trou de mur, qu’il avait recouvert de plâtre avec tant de soin qu’on n’y voyait que du feu. Et il y tenait à son morceau de bracelet !… Quand je l’ai trouvé par hasard, en cognant le mur, ce qui a fait tomber le plâtre, le vieux Jim m’a supplié de le lui laisser. C’est la seule et unique fois où il m’a parlé doucement. Ça lui venait de sa femme, qu’il m’a dit.

— Et vous le lui avez pris ? demande Florence.

— Il a bien fallu, le règlement est là. Ce qui m’étonne, c’est qu’il ne me l’ait pas redemandé avant de partir. Probable, il avait autre chose à penser qu’à un bout de bracelet…

— Vendez-le-moi, dit Florence, d’un ton indifférent. Je collectionne les curiosités de ce genre. Quel prix en voulez-vous ?

Le gardien hésita et préféra s’en remettre à la générosité de Florence.

— Oh ! ça n’a de valeur que comme curiosité… Pour le prix, je m’en rapporte à vous… Merci bien ! c’est plus que ça ne vaut, reprit-il, en glissant dans sa poche l’argent que la jeune fille lui tendait… Eh bien, vous ne croiriez pas ? hier, déjà, il y a quelqu’un qui me l’a demandée cette moitié de bracelet.

— On vous l’a demandée ? Qui donc ? interrogea Florence.

— Eh bien, Smiling, donc ! il est venu pour ça. Il a l’autre moitié du corail. Il me l’a montrée pour dire qu’il avait le droit d’avoir celle de Jim. Moi, j’ai répondu que je ne savais pas ce qu’il voulait dire… Il a insisté, faut voir, mais j’en ai pas démordu. Je ne voulais pas la lui donner. Une idée que j’avais, quoi ! Il ne me plaît pas à moi, ce bonhomme-là. Alors, maintenant, mesdames, vous avez-tout vu…

Elles partirent après que Florence eut jeté encore un dernier regard sur la lugubre cellule, dernier habitacle sur terre de l’Homme au Cercle Rouge.

La jeune fille, lorsqu’elle se retrouva à l’air libre, dans la rue claire et ensoleillée, subit la réaction de ses émotions poignantes et de la contrainte qu’elle s’était imposée pour les dissimuler. Elle tremblait, comme saisie d’une fièvre ardente, et, pour ne pas tomber, dut s’appuyer au bras de sa compagne. Le séjour d’horreur, de folie et de mort d’où elle sortait lui laissait l’âpre épouvante d’un cauchemar pour lequel le réveil n’est pas un remède et que la réalité prolonge. Une menace latente émanait pour elle des murs maudits qu’elle quittait, et, en même temps, le fragment de bracelet, qu’elle tenait serré dans sa main lui posait un nouveau problème qu’il fallait résoudre…

— Je verrai Sam Smiling aujourd’hui même, dit-elle tout à coup à Mary.

Celle-ci sursauta.

— Mon enfant, pourquoi faire ? Dans quel but ?

— Pour avoir l’autre moitié du bracelet. Je ne veux pas laisser ce vestige du passé entre les mains de cet homme.

Et elle ajouta tout bas :

— Ce bracelet a appartenu à… ma mère.