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Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/13

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nous proposer un tour de cartes ou une charade ? »

Ce fut une entrée de music-hall qu’effectua le jeune ménage, tous deux, castagnettes aux poings et buste renversé. Et ils tourbillonnèrent un instant dans la pièce tandis que Jean d’Orsacq les accompagnait en frappant du pied. Boisgenêt protesta.

— Vous allez réveiller la maîtresse de maison. Elle a recommandé qu’on la laissât dormir.

— Ma femme ? dit le comte, quand elle est sous l’action de ses drogues, rien ne la réveille. »

Mais Vanol n’en pouvait plus.

« Non, non, cria-t-il, assez de bruit. Passez à un autre exercice.

Les Bresson n’étaient pas entêtés. Le mari déploya un jeu de cartes sous le nez de Vanol.

« Prenez une carte au hasard.

— Qu’est-ce que je vous avais annoncé ? dit Vanol à Boisgenêt… Le coup de la carte forcée… »

Bresson posa le jeu sur une table et s’éloigna.

— Pas forcée du tout. Prenez-en une.

— Zut !

— Ce qu’il est poli !

— Ça m’embête.

— Qu’est-ce qui vous amuse ?

— De ne pas m’amuser. »

Et Vanol ajouta soudain, en s’apercevant que Léonie Bresson s’était emparée de sa tasse vide et qu’elle en examinait le fond :

« Ah ! non, pas de ça, je vous en prie !

— C’est vous qui avez bu là-dedans, monsieur Vanol ?

— C’est moi !

— Et vous ne voulez pas que je vous dise ?…

— Le coup du marc de café ? Ah ! jamais de la vie. Il y a trois ans déjà, vous m’avez annoncé que ma femme me lâcherait.

— Mais au fait, je vous l’avais prédit. Avouez que c’est drôle…

— Pas pour moi. »

La jeune femme se tourna vers le comte d’Orsacq.

« Et vous, cher monsieur… je peux me permettre ? »

Il lui tendit sa tasse.

« Tout ce que vous voudrez, chère amie, mais à une condition…

— Laquelle ?

— Vous direz la vérité.

— Vous n’avez pas peur ?

— De rien. »

Elle examina la tasse un instant, et garda le silence. Son mari intervint, subitement inquiet.

« Je t’en prie, Léonie, ne dis pas de bêtises.

— Laissez-la donc, objecta d’Orsacq.

— Mais non, mais non… vous ne la connaissez pas… regardez ses joues qui se creusent, ses yeux qui brillent. Elle est capable, dans ces moments-là, de vous prédire des choses extravagantes.

— Des choses qui arrivent ? »

Bresson hésita et laissa tomber sourdement :

« Oui… Elle a le sens de l’avenir. Elle voit clair… Certains de ses pressentiments se sont réalisés et, je l’affirme, dans des conditions vraiment troublantes. »

Boisgenêt s’écria en battant des mains :

« Bravo, le ménage Bresson ! la scène est supérieurement jouée. Tandis que l’épouse ausculte le marc de café, l’époux se charge du trémolo, et nous fait dresser les cheveux sur la tête… Allez-y ! ma petite Léonie ! Un accident rigolo, hein ? Vanol se casse la jambe… »

La jeune femme se taisait, livide, la figure contractée. Le comte insista :

« Eh bien ! qu’y a-t-il donc, chère amie ? Vous avez l’air tout émue.

— Émue, non, prononça-t-elle sans quitter des yeux le fond de la tasse. Mais je ne sais si je dois…

— Mais oui, mais oui… Il s’agit sans doute de pertes d’argent, n’est-ce pas ! Et cela me concerne ?

— Non… non… murmura-t-elle… cela ne vous concerne pas spécialement… il s’agit d’une chose qui se passe ici… ou qui va se passer… qui nous menace tous… un drame…

— Ah ! non, hurla Vanol qui était blême, pas de drame !

— Mais c’est passionnant, au contraire, plaisanta Jean d’Orsacq. La vie serait monotone sans les drames… Et celui-là a lieu ici ?

— Oui.

— L’année prochaine ?

— Ce soir.

— Au bout du parc ?

— Dans ce château.

— Au grenier ?

— À cet étage.

— À cet étage ? Et quelle sorte de drame ? On cambriole ?

— Oui… il y a cela… un voleur… et puis…

— Et puis quoi ?

— Ah ! c’est effrayant… mais sûrement, sûrement… il y a crime…