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Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/73

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essayait de déchiffrer cette figure énigmatique. Devait-il espérer ? L’idée qu’elle s’était concertée avec Jean d’Orsacq le faisait pâlir de haine.

— Monsieur d’Orsacq, vous êtes sûr de ce que vous avancez ?

— Absolument, monsieur le Juge d’instruction.

— Vous avez vu ?

— J’ai vu.

— Gustave, hier soir, à neuf heures et demie, se dissimulait au bas de l’escalier ?

— Oui.

— Vous l’affirmez ?

— Je l’affirme.

— Monsieur Boisgenêt, vous avez vu également Gustave ?

— Oui.

— Vous l’affirmez ?

— Je l’affirme, prononça fortement Boisgenêt.

À son tour, Christiane subit l’examen attentif de M. Rousselain. Le beau visage gardait un calme qui ne paraissait pas simulé. Pourquoi tant de certitude ? Et pourquoi même cette sorte de sourire, ou plutôt ce reflet de sourire qui donnait à sa physionomie un apaisement inaccoutumé ?

— Rien ne modifie votre déposition, madame ? dit-il vivement intrigué.

— Oui, monsieur le Juge d’instruction.

— Ah ! les événements ne vous apparaissent plus sous le même jour ?

— Sous un jour identique, mais… la vérité m’oblige à dire que Gustave, quand nous sommes sortis tous les trois, ne se trouvait pas dans le vestibule…

— Gustave ne se trouvait pas dans le vestibule hier soir, à neuf heures et demie ?

— Du moins, personnellement, je ne l’y ai pas aperçu.

— Comment ! s’écrièrent à la fois Boisgenêt et d’Orsacq. Comment ! mais vous nous avez dit vous-même l’y avoir vu.

— Je l’ai dit, mais en disant cela…

— En disant cela ?

— J’ai menti.



IV


Ce fut de la stupéfaction. Mme Debrioux reniait son témoignage ! Elle défendait tout à coup celui qu’elle avait accusé, et, trahissant la cause de son mari, passait dans le camp adverse !

Amélie se mit à rire, d’un rire triomphant, et Ravenot lui serra la main avec une énergie admirative, comme s’il participait à la victoire de sa femme.

D’Orsacq et Boisgenêt étaient déconcertés. D’où venait un tel revirement ? « Crebleu ! murmura M. Rousselain. Voilà qui est palpitant. Où diable veut-elle nous conduire, cette fois, la jolie dame ? »

Il dit à haute voix :

— Fichtre ! il n’est pas commode de mener une enquête si l’on se heurte à de tels revirements ! Autant, madame, vous avez été affirmative dans un sens, autant vous l’êtes, un moment plus tard, dans un sens opposé. Ainsi, Gustave ne se trouvait pas là ?

— Non.

— Quelle valeur prendrait votre déclaration si vous pouviez nous dire où il était !

Christiane ne lui laissa pas le loisir de la questionner plus longtemps. Elle le pria de convoquer la lingère Bertha, c’est-à-dire la personne que l’on avait confondue, la veille au soir, avec Mme d’Orsacq. Christiane expliqua que cette femme pourrait peut-être donner un renseignement utile sur un point secondaire que l’on avait négligé.

Le brigadier amena la lingère. Et tout de suite Christiane lui demanda :

— Bertha, quand vous avez couru au-devant de M. d’Orsacq dans la soirée, vous avez avoué que vous étiez sortie auparavant pour assister aux illuminations et que vous aviez été prendre un vieux vêtement de fourrure dont votre maîtresse avait promis de vous faire cadeau ?

— Oui, une pelisse qui était à raccommoder.

— Bien. N’avez-vous pas dit que cette pelisse était pendue dans la lingerie ?

— Oui, madame.

— Comment se fait-il que vous ayez pu entrer, puisque la pièce était fermée à clef ?

— J’ai toujours la clef à mon trousseau.

— Il y en a donc une autre ?

— Oui, une autre qui est accrochée près de la porte, dans l’ombre.

— Et vous avez trouvé quelqu’un à l’intérieur ?

— Oui, Gustave, qui se cachait derrière un vieux paravent. Il n’a pas pu croire que je le voyais dans une glace.

— Qu’avez-vous pensé de trouver là Gustave ?

La brave femme bafouilla quelque peu.

— Rien… Je ne pense pas aux affaires des autres. Ça ne me concerne pas. Je me suis dit tout de même qu’Amélie avait dû l’enfermer là pour lui faire une farce. Amélie… n’est-ce pas, c’est une jeunesse. À la cuisine, elle met tout le monde en train. Et puis Gustave courait bien un peu après elle…

— Ah ! Qu’est-ce que je vous disais ? s’écria la femme de chambre, de nouveau triomphante, et que son mari approuva. Vous voyez, Gustave courait après moi.

La sincérité de Bertha ne faisait aucun doute. M. Rousselain la congédia et dit à Christiane :

— L’incident est donc clos selon vous, madame ? Amélie a déposé selon la vérité, et ce garçon ne peut être suspecté ?

— C’est mon opinion.