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Page:Leblanc - Le formidable événement, 1925.djvu/77

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LE FORMIDABLE ÉVÉNEMENT

lointaine, puisque s’ouvrait devant eux l’avenir resplendissant.

À l’intérieur des barricades quelques soldats parcouraient l’arène et rangeaient les cadavres, tandis que d’autres plus loin, installés sur l’épave de la Ville-de-Dunkerque, détachaient les silhouettes lugubres suspendues aux gibets. Près du sous-marin, dans un espace clos et que de nombreuses sentinelles surveillaient, étaient parqués plusieurs douzaines de prisonniers auxquels venaient s’adjoindre à tout instant d’autres lots de captifs.

« Évidemment, reprenait le père Calcaire, il reste beaucoup de points obscurs, mais je ne m’en irai pas avant d’avoir étudié toutes les causes du phénomène.

— Et moi, lui dit Simon en riant, je voudrais bien savoir, mon maître, comment vous avez pu venir jusqu’ici. »

C’était là une question peu intéressante pour le père Calcaire, et à laquelle il répondit vaguement :

« Est-ce que je sais ! J’ai suivi un tas de braves gens…

— De braves pillards et de braves assassins.

— Ah ! tu crois ? Oui, peut-être… il m’a semblé quelquefois… Mais j’étais si absorbé ! Tant d’observations à faire ! D’ailleurs, je n’étais pas seul… du moins le dernier jour.

— Ah ! et avec qui ?

— Avec Dolorès. Nous avons fait toute la dernière étape ensemble, et c’est elle qui m’a conduit ici. En vue des barricades elle m’a quitté. Et puis, impossible d’entrer dans cette enceinte et d’examiner le phénomène de près. Aussitôt que j’avançais, pan, la mitrailleuse ! Enfin tout à coup, la foule a crevé la digue. Mais ce qui me tracasse maintenant, c’est que ces éruptions paraissent déjà diminuer d’intensité et qu’il faut qu’on en prévoie le terme dans un délai très proche. Il est vrai, d’autre part… »

Mais Simon ne l’écoutait plus. Il apercevait dans l’arène le capitaine commandant le détachement, avec lequel il n’avait pu, le matin, échanger que quelques mots, cet officier s’étant mis aussitôt à la poursuite des fuyards. Simon conduisit Isabel vers la tente qui lui était réservée, et où lord Bakefield se reposait, et il rejoignit le capitaine qui s’écria :

« Cela se déblaie, monsieur Dubosc. J’ai envoyé les escouades vers le Nord, et toutes les bandes de brigands tomberont entre mes mains ou entre les mains des troupes anglaises dont on me signale l’arrivée. Mais quels sauvages ! Et combien je suis heureux d’être arrivé à temps ! »

Simon le remercia en son nom et au nom de Bakefield et de sa fille.

« Ce n’est pas moi qu’il faut remercier, répondit-il, mais l’étrange femme que je ne connais que sous le nom de Dolorès, et qui m’a amené ici. »

Le capitaine raconta qu’il opérait depuis trois heures aux avancées de Boulogne où il tenait garnison, quand il avait reçu du gouverneur militaire, récemment promu, un message lui enjoignant de s’enfoncer dans la direction de Hastings, de prendre possession du pays jusqu’à mi-route entre les anciennes côtes, et de réprimer impitoyablement tous les excès.

« Or, ce matin, dit-il, alors que nous patrouillions à trois ou quatre kilomètres de là, poussant devant nous un troupeau de maraudeurs, j’ai vu arriver cette femme au galop de son cheval. Rapidement elle m’a mis au courant de ce qui se passait à l’intérieur de ces barricades qu’elle n’avait pu franchir, mais derrière lesquelles Simon Dubosc se trouvait en péril. Ayant réussi à capturer un cheval, elle était venue et me suppliait d’aller à votre secours. Vous comprenez avec quelle hâte, au nom de Simon Dubosc, j’ai marché dans le sens qu’elle m’indiquait. Et vous comprenez aussi pourquoi, la voyant à son tour en danger, je me suis jeté à la poursuite de l’homme qui l’emportait.

— Eh bien, mon capitaine ?

— Eh bien, elle est revenue, fort tranquillement, toute seule sur son cheval. Elle s’était débarrassée de l’Indien que mes hommes ont cueilli aux environs assez endommagé par sa chute. Il se réclame de vous.

Simon raconta brièvement le rôle qu’Antonio avait joué dans le drame.

« Parfait ! s’écria l’officier, le mystère s’éclaircit.

— Quel mystère ?

— Oh ! quelque chose qui est bien dans la note de toutes les horreurs commises. »

Il entraîna Simon vers l’épave et lui fit descendre l’escalier du pont.

Le large couloir était encombré de sacs et de paniers vides. Tout l’or avait disparu. Les portes des cabines occupées par Rolleston avaient été démolies. Mais, devant la dernière de ces cabines, et un peu avant le réduit où Antonio avait enfermé Rolleston la veille au soir, Simon, à la lueur d’une lampe électrique allumée par l’officier, avisa le cadavre d’un homme pendu au plafond. Les genoux avaient été repliés et attachés pour que les pieds ne pussent toucher à terre.

« Voilà ce misérable Rolleston, dit le capitaine. Il n’a évidemment que ce qu’il mérite. Mais, tout de même… Regardez bien… »

Il envoya les rayons de la lampe sur le buste du supplicié. Le sang couvrait la figure méconnaissable, du sang figé, presque noir. La tête, penchée, offrait la plus hideuse des plaies, un crâne à vif, dont toute la peau, cuir et cheveux, avait été arrachée.

« C’est Antonio qui a fait le coup, prononça Simon, se souvenant du rire de