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Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/12

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Éperdu, il leva les yeux. Régine était debout devant lui, le visage fou d’angoisse. Il la contempla indéfiniment. Il ne la reconnaissait pas. Une grande douleur s’épanouit.

Jaillie de son âme en lambeaux, elle poussa d’un coup, comme un arbre monstrueux dont les racines cruelles l’eussent déchiré. Sous le poids trop lourd, il pantela et gémit.

— Excuse-toi… dis quelque chose…

Le moindre mot l’eût allégé, fût-il de haine, de défi, ou même d’aveu. Régine murmura :

— Tu ne me croiras pas.

— Oh ! si, supplia-t-il, je croirai tout, dis des mensonges, dis ce que tu voudras…

Il sanglotait. Elle s’agenouilla devant lui :

— Mon pauvre Hervé, comme tu as du mal, par ma faute… et je ne puis rien… tu ne me croirais pas… pourtant, Hervé, écoute-moi : pas une ligne de tout cela n’est vraie…

Il eût voulu rire, mais, ayant rencontré ses yeux, il tressaillit. C’étaient les purs yeux de franchise et de vérité. Des larmes s’y mouvaient si l’on voyait très profondément en eux. Dans leurs transparences d’eau bleue et calme, il se baigna, tandis qu’elle disait :

— Je vais te parler de choses confuses, des choses que je ne comprends pas bien et auxquelles j’ai obéi, parce qu’elles ont été plus fortes que moi. Elles sont venues peu à peu, du fond obscur de mon être. Je les sentais courir et mordre comme de petites bêtes. J’en avais peur et je les tuais : elles renaissaient, c’étaient des désirs inexprimés, l’envie vague de distractions nouvelles… Cela ne se précisait jamais en tentation et aucun homme ne m’attirait. Mais j’étais en péril, assaillie d’instincts méchants, et je ne savais comment me défendre.