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Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/190

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Tous ces détails excitèrent vivement ma curiosité. Pourquoi cette solitude inabordable ? Comment s’écoulait leur existence, sur cette roche escarpée, à l’abri de ces pierres disjointes ? Que faisaient-elles ? Que disaient-elles ?

Malgré moi, je revenais chaque jour à mon poste d’observation. Et je les vis ainsi, une fois, prendre la barque, traverser l’étang et sortir de leur propriété. Elles se promenèrent une heure ou deux, visiblement au hasard. Je les suivis, je les croisai ; elles ne parurent même point remarquer ma présence. Elles se tenaient par le bras, comme d’habitude, et elles parlaient à voix basse. J’observai même qu’elles ne cessaient point de parler, mais il eût été impossible de saisir le moindre mot de leur conversation.

L’automne s’écoula, puis l’hiver survint, sans que j’apprisse rien de nouveau. Je ne les rencontrai plus, personne ne les rencontra, et l’on n’aurait su dire si elles vivaient encore. C’est un soir, après une semaine de forte gelée, que je conçus et que je mis à exécution le projet audacieux qui assouvit ma curiosité.

Vers dix heures, par une nuit sombre, ayant franchi le mur, j’arrivai au bord du lac, du lac où l’on avait retrouvé le cadavre de Jean. L’eau était prise, je m’aventurai. Quelques minutes plus tard, j’errais parmi les décombres du château, dans des salles sans plafond, dans des cours embarrassées de ronces, dans des corridors en plein air et dans des escaliers sans marches. Rien vraiment n’indiquait que deux êtres habitassent là, et je commençais à me découra-