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Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/194

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Le Lien factice



À l’âge de dix ans, Marthe perdit sa mère, et avec sa mère, tout espoir de joie, de paix et de bonheur. Son père, M. Dudouy, nature inquiète et chagrine, semblait ne point l’aimer. Elle vécût seule auprès de cet homme qui la rudoyait, et fut malheureuse, étant sensible et tendre.

Elle avait dix-sept ans lorsque des spéculations maladroites de M. Dudouy les réduisirent, du jour au lendemain, à la misère la plus absolue. Son père dut accepter une petite situation qui leur donnait à peine de quoi vivre. Marthe fit le ménage et s’abîma les yeux à des travaux de broderie dont la vente leur permettait de joindre les deux bouts. Trois années se passèrent de la sorte, années douloureuses, pitoyables et mesquines, où elle n’eut d’autre consolation que de répandre des larmes tout en faisant son devoir.

Ils ne voyaient personne, sauf, de temps à autre, un vieil ami, Lucien Hardol, qui ne restait qu’un moment, et dont la venue régulière, depuis dix ans, étonnait Marthe, car son père le recevait avec la plus grande froideur. Très riche, il avait proposé une fois, d’un air timide, quelques secours, offre à laquelle M. Dudouy avait répondu en montrant la porte. Il revenait cependant, ce qui ne déplaisait point à la jeune fille qui aimait son regard doux, ses manières affectueuses, la tristesse de sa voix. Mais pourquoi s’obstinait-il en ces visites ?