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Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/63

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Il mit au monde, avec le même succès, le second enfant, le déposa à son tour et, rapidement, donna quelques soins encore aux deux malades. C’est alors… c’est alors qu’il revint auprès des deux garçons et qu’il s’aperçut que, dans sa précipitation, il les avait étendus l’un contre l’autre, sans que le moindre signe lui permit de les distinguer l’un de l’autre. Il aurait dû se taire, choisir au hasard… Qu’importe, après tout… Malheureusement, il eut la bêtise de s’écrier :

— Sacré nom, je ne m’y reconnais plus… lequel est-ce ?…

Les deux mères avaient entendu.

Le surlendemain, l’un des deux garçons mourait. L’autre, c’était moi. De qui étais-je le fils ?

Il se tut. Je ne sais pourquoi, je dus réprimer une certaine envie de rire. Je trouvais à cette aventure extraordinaire un côté plutôt comique. Il me sembla même que Louis en avait conscience, car sa voix et l’expression de son visage marquaient une sorte d’ironie : c’était si bête et si niais, c’était si bien un de ces coups stupides, une de ces niches puériles que le destin s’amuse à comploter avec une imagination d’homme ivre ! Louis conclut :

— Tu vois la suite : je n’ai pas de père, je m’appelle Louis tout court, né à Etennemare ; pourquoi porterais-je plutôt le nom de Saint-Léger que celui de Lieuvain ? Par contre, j’ai deux mères, ni l’une ni l’autre n’ayant pu se décider à m’abandonner, car, somme toute, si elles n’ont pas de preuves de leur maternité, aucune d’elles ne peut se dire : « Louis n’est pas mon fils. » Seulement, il en est résulté que, dans le doute, ni l’une ni l’autre ne m’a aimé comme une