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Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/86

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Selon la nature



Le navire fit naufrage. Trois passagers qui s’accrochèrent à des vergues et à des épaves furent jetés sur la côte d’une petite île. C’étaient deux Français, le mari et la femme, et un Anglais qu’ils ne connaissaient point.

Ils ne perdirent pas leur temps à se lamenter ni à combiner d’inutiles signaux. Le couple sécha ses vêtements derrière une roche, l’étranger derrière une autre, et tous trois partirent à l’aventure. Une heure leur suffit à constater que, seuls, des troupeaux d’antilopes et des bandes d’oiseaux habitaient leur nouveau domaine. Les côtes étaient nues, mais il y avait au centre une source, un peu de verdure et un bouquet d’arbres gigantesques. Les deux hommes décidèrent — par signes, car ni l’un ni l’autre ne parlaient le même langage — que l’on s’installerait là.

Ils burent. Ils mangèrent des baies et des racines. Deux huttes en branches furent construites, des feuilles mortes accumulées. Il faisait chaud. La première nuit s’écoula fort bien.

Les jours suivants, les semaines suivantes, un effort patient et ingénieux permit de rendre l’existence plus confortable. À l’aide d’armes grossières, on tua, première condition d’existence. L’Anglais était robuste et infatigable, le Français adroit et fertile en ressources, la femme exercée aux soins du ménage. En outre, le souvenir de leurs lectures les secourait puissamment, et l’exemple des divers Robinsons leur indiquait tout ce qu’il est d’usage de faire en pareil cas :