Aller au contenu

Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et elle était bonne comme le pain blanc, vrai comme vous me voyez là. Depuis qu’elle est défunte, y a des jours où le chagrin lui monte à la tête. Avec ça pas d’enfants dans cette maison qui est comme morte. Quelle pitié ! Alors comme Madame, elle brodait souvent dans la chambre du haut pendant qu’elle attendait Monsieur qui était à la chasse avec ses gros chiens, des fois, quand il rentre, il veut se faire accroire pt’être ben qu’elle est vivante. « Solange ! Solange ! » qu’il crie comme ça ! Vous pensez si elle descend, sa pauvre Solange !… Rapport à ce qu’elle est bien morte et enterrée dans le cimetière…

— Mais là, dans le cabinet, demande M. Malisson dont les yeux de faïence deviennent comme des boules de loto, qu’est-ce qu’il fait ?

— Attendez donc ! Vous ne me laissez pas vous causer. Là c’est la garde-robe de feu madame. Ah ! misère ! Y en a des défroques de robes et de chapeaux ! Il n’a pas voulu qu’on y touche. Et pourtant y en a qui sont bien vieilles ! Si c’est pas dommage, par le temps qui court, de laisser se perdre de belles robes comme ça qui feraient des heureuses ! Moi, ça me tourne les sangs quand j’entre là-dedans. J’ai comme qui dirait peur… Surtout quand y a des courants d’air et qu’on voit remuer près de la fenêtre la belle robe blanche où y a des coquelicots rouges dessus…

Doucement, très doucement, « Barbe-Bleue », derrière la porte, exhalait toujours l’immense détresse de son cœur oppressé. On n’entendait plus maintenant qu’une plainte vague et discrète comme le vagissement d’un enfant. C’était quelque chose d’infiniment poignant et misérable.

Seul, absolument seul dans son musée du souvenir, en face du deuil de sa vie, le pauvre homme feuilletait avec désespoir les feuilles du livre qui ne se ferme jamais, celui des joies défuntes et des affections envolées.

Les enfants sentirent l’inutilité de leur présence. Imposante, la cuisinière jetait des regards étonnés et un peu défiants sur ces petits inconnus.

Ils partirent. Tout cela était si grand pour leurs jeunes cerveaux et leurs cœurs enfantins qu’ils traversèrent la forêt et regagnèrent la rivière sans presque mot dire.

Ah ! ils étaient contents ! bien contents que personne n’ait été assassiné. Mais tout de même ils ne comprenaient pas comment le vilain homme à barbe bleuâtre et à nez d’épervier avait tant de cœur. Pierre ne savait-il pas que, dans tous les contes de fée, les méchants sont laids et que la beauté y est le masque nécessaire de la bonté ? Un doute montait en lui, car déjà la jolie « sœur de Cendrillon » s’était montrée si méchante !

Ils arrivaient donc songeurs sur la rive, quand un cri joyeux les fit tressaillir :

— Quiou !

Folette était là. Toute vêtue de linon blanc, elle semblait joyeuse comme une petite fille qui sort de son école. Elle esquissa son meilleur « plongeon », puis elle fredonna le refrain de sa chanson bien-aimée :

Dansons la capucine,
Y a plus de pain cheux nous,
Y en a chez la voisine.
Mais y en a pas pour nous.
Quiou !

Cependant elle scrutait les enfants d’un œil clair et malin. Et, peu à peu, calmée, elle les interrogea et leur fit conter par le menu leurs aventures.

Un sourire énigmatique se dessina sur