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Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/9

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contre le tronc d’un arbre auquel on eût dit qu’elle le clouait.

— Arrière, bandit !

Dans la « jeune créature », vêtue d’une simple robe d’indienne, que couvrait sans grâce un tablier à carreaux, Pierre, ébloui et stupéfait, reconnut tout à coup Mlle des Aubiers ! Elle avait un air implacable. La voix un peu blanche, elle cria :

— Arrière ! arrière !… Lâchez votre épée. Qui êtes-vous ?

Comme dégrisé, Pierre sentit avec honte qu’il sombrait dans le ridicule puisque n’ayant pourfendu personne il échouait sans gloire entre les crocs d’une fourche.

À tout prix il fallait sortir de la situation où il s’était fourvoyé par quelque geste digne d’un chevalier. Il ôta son feutre à plume, en balaya le sol et se présenta gravement :

— Mademoiselle, je suis votre locataire, M. Pierre Boisgarnier.

La petite, toute blonde, toute fraîche, le dévisagea longuement, la poitrine légèrement haletante, l’œil inquisiteur et rond. Puis son visage, à l’accoutumée fort malicieux, se détendit tout à fait, elle abattit sa fourche, et franchement elle éclata de rire :

— Ah ! c’est toi, le petit voisin ? Dieu ! que tu m’as fait peur, dit-elle avec une simplicité charmante. C’est toi qui criais du côté du souterrain ? D’où venais-tu donc ?

— Des oubliettes, fit Pierre, choqué par ce tutoiement.

— Des oubliettes ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Le trou noir… là-bas… du chemin de ronde…

Un nouvel éclat de rire aussi frais qu’un gazouillis d’oiseau accueillit ces explications.

— Ah ! oui, je comprends, tu n’as pas vu que la grille n’y était pas, et tu es tombé dans l’ancienne citerne, de là tu es venu par le canal du trop plein… Tu aurais pu te faire très mal, tu as dû avoir une fameuse peur ! C’est pour ça que tu criais ?

— Comment ! Mais je criais pour vous défendre, mademoiselle ! reprit Pierre avec hauteur.

— Me défendre ? Mais je n’étais pas attaquée ?

— Et la licorne ?

— La licorne ?

— Oui, cette bête sauvage qui bondissait et qui s’est sauvée devant moi ?

Du coup la gaieté de l’enfant ne connut plus de limites. Elle se tenait les hanches et frappait le sol de ses deux pieds.

— Ah ! ça, c’est trop drôle ! Mon Dieu, que c’est drôle ! Une licorne ! Une bête sauvage !  !  ! Mais c’était Victor !

— Victor ? prononça Pierre de plus en plus décontenancé.

— Mais oui, Victor.

— Qui cela, Victor ?

Violette écarquilla ses yeux frais où rayonnait une joie d’enfant :

— Tu ne sais pas qui est Victor ? Ah ça, par exemple !

La petite fille hésite un moment. Puis riant à nouveau :

— Tu le sauras tout à l’heure, dit-elle.



II

Victor, Jean-Lapin et le Chat botté


Pierre, extrêmement froissé, attendait la fin de cette hilarité de mauvais goût, suivie d’un mutisme un peu inso-