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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/118

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LECONTE DE LISLE

l’avidité de la jeunesse donnent à cette nomaderie intellectuelle un charme ondoyant d’énergie et de douceur qui berce l’esprit dans des alternatives de conquête et de désintéressement où il aspire tour à tour à se laisser subjuger par les génies étrangers et à les pénétrer pour en tirer seulement l’aliment nutritif de son génie individuel qui les embrassera tous. L’adolescent interroge et suit toutes les littératures comme il scrute les jeunes filles qui séduisent son naturel instinct polygamique[1], il admire avec passion la brune Italie, d’une beauté plus ardente dans l’hallucination florentine de sa douleur, et la mélancolique Allemagne aux poèmes blonds et longuement tressés, aux bleus rêves sentimentaux, aux chastes fanatismes, il les aime avec un enthousiasme qui n’aveugle pas le sens critique éveillé par la diversité même de sa culture et de ses aspirations.

Dans la littérature allemande il a lu notamment Schiller — chez qui il choisit des épigraphes à ses poèmes, — Gœthe[2] et Jean-Paul Richter. De nature active et lumineuse, s’il est vrai qu’il tente toujours de se maintenir aux hauteurs de la pure idéalité, il réagit de toute sa jeunesse contre le sentimentalisme mol et nébuleux qui couvrit l’Allemagne après le rayonnement de Gœthe et de Jean-Paul. Lui-même n’a pu se défendre de l’emprise du mys-

  1. Lettre de 1836 à Rouffet.
  2. Un poème de La Phalange, Hélène, très différent de celui des Poèmes Antiques, indique que L. de L. médita le Second Faust où le penseur allemand se confronte à la beauté grecque.