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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/151

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rire sur leurs lèvres rouges. Cela faisait partie pour elles des bruits de la nature... Il songeait qu’un abîme était creusé pour toujours entre lui et ces jeunes femmes si désirables qui n’avaient paspilié de la douleur. Alors il courait se réfugier dans la solitude, se calmer dans l’engourdissement du soleil ; pendant des heures il restait sur le sable, étendu, immobile, les yeux clos, écoutant les bruits de la nature, s’incorporant si bien avec elle qu’il avait la sensation de mêler son âme à l’âme universelle. »

Ainsi du heurt même des choses quotidiennes s’exaltaient, s’exaspéraient ses anciens rêves d’avenir poétique et libéral. À peine arrivé au pays, il fut douloureusement ému de l’inhumanité indolente des gens. Son cœur et son esprit étaient dans une tension constante. On a été jusqu’à parler de maladif excès de sensibilité : il faut écouter dans l’île les témoins des dernières années de cet Ancien Régime : membres rompus par le bâton, chairs déchirées du fouet, plaies saupoudrées de sel pimenté, visages couverts d’ordures, agenouillements sur du verre pilé… Tout cela, il le reverra, le poète « descriptif » du moyen-âge.

Il se fixe à Saint-Denis, la capitale, en une paisible et jolie rue, la rue Sainte-Anne. À travers sa forêt touffue et fleurie de jardins ombreux où sommeillent les grandes villas, elle va des rampes de la Rivière, que surplombe la montagne de la Vigie, au quartier pauvre qui longe la mer. De la maisonnette entourée de manguiers et de jaquiers ou d’arbres à pain qu’habitait Leconte de Lisle, on pou-