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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/358

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notre capitulation certaine, grâce à l’effroyable impéritie de nos gouvernants qui ont tout fait pour décourager une admirable population. Nous avons beaucoup souffert, surtout dans ces derniers jours, du manque de bois et de pain mangeable. Je ne vous parle pas de toutes les horreurs qu’on vendait à prix d’or dans les rues, chiens, chats et rats. Nous avons vécu de riz. Le bombardement est venu mettre le comble à nos misères. Il a duré près de trois semaines, écrasant notre malheureux quartier d’obus dont j’ai encore les sifflements et détonations dans la tête. Les avenues de Breteuil, de Villars et des Invalides ont été labourées. Un obus a défoncé le sixième étage de notre maison du côté de l’avenue de Villars. L’appartement était heureusement vide. D’ailleurs, tout le monde était parti, excepté nous. Cependant, comme c’était une averse jour et nuit, et qu’il n’y avait plus moyen de fermer l’œil, nous avons émigré à notre tour pour quelques jours, rue Richer. — En proportion, il y a eu beaucoup plus de femmes et d’enfants tués ou blessés que d’hommes, probablement parce que ceux-ci passaient les nuits aux remparts, où une compagnie a été cruellement éprouvée, la première. L’un a été décapité par un obus, l’autre a eu la cuisse droite fracassée. Depuis, notre bataillon a encore perdu soixante hommes. Vous voyez que la garde nationale a fait de son mieux. Nous n’en pouvons pas dire autant des soldats de ligne. Ces lâches canailles ont généralement fui partout où l’ennemi les a rencontrés.

Quant à la situation politique, elles est navrante… À Paris il y a un trouble profond dans les esprits. Je crains que la République soit bien malade et que nous ayons une monarchie quelconque dans six mois[1].

  1. Son frère Alfred venait de perdre son fils aîné, tué à Toul par un boulet, qui lui avait emporté les deux jambes. « C’était un brave garçon et il est bien mort. »