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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/421

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motion douloureuse du déracinement, il laisse la nostalgie déborder son âme d’un pessimisme juvénile, irréfléchi, de mille biens imaginaires surenchérissant les bienfaits qu’il a perdus en quittant Bourbon.


Extase, amour, génie, ô mes rèves perdus !
Qu’êtes-vous devenu, parfum de ma jeunesse !
Adieu, tout est fini… vous ne reviendrez pas !


Et voilà la première, la seule raison profonde du pessimisme de son adolescence : d’avoir quitté pour une Bretagne morne et lourde l’île éblouissante et parfumée, il se sent comme vieilli à vingt ans, dépouillé de lui-même, déchu… avec la certitude de l’irréparable. Tout ce qu’il a perdu ne lui reviendra pas. C’est alors que par cet instinct qui nous pousse à renfermer en nous ce que nous allons perdre, à étreindre ce qui va s’échapper de notre poitrine, il se referme en soi-même :


Et mon cœur attristé s’est fermé sans retour.


C’est pour laisser plus tenacement le souvenir revivre en soi, pour opposer à une réalité déplaisante une résistance derrière laquelle se conserve intacte la vision d’une réalité lointaine. Un cœur qui se ferme, une pensée qui s’applique à s’élever et à planer, qui toujours monte plus haut, dans l’espoir inconscient de découvrir au loin, à travers l’espace et le temps, l’île natale. Puis fatigue, impassibilité, impersonnalité, abstraction, stratagèmes d’une jeune âme captive, frissonnante et jalouse de s’envelopper de l’atmosphère privilégiée de ses origines… « Le souvenir, a-t-il écrit, n’amène