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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/46

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LECONTE DE LISLE

Paulois. Parfois des bals s’y donnaient, mais ce n’était déjà plus comme au temps dont parle Bernardin de Saint-Pierre : « Les femmes ne viennent guère à la ville que pour danser ou faire leurs pâques. Elles aiment la danse avec passion. Dès qu’il y a un bal elles arrivent en foule, voiturées en palanquin. » C’était seulement parfois dans les rues suburbaines ou aux « camps » des habitations, la distraction des fêtes indiennes, célébrant à coups de tam-tam et à grand déploiement de turbans et de paliacates la lointaine patrie asiatique ; sur les plages ou les places publiques, les danses de Cafres et des Cafrines se déhanchant au rythme ensorcelé des bobres et à la musique massive d’ancêtres africains.

L’on demeurait le plus souvent aux maisons silencieuses : l’on y interrompait ses rêveries aux marges d’un livre ou au canevas d’une tapisserie, d’une station au piano, où elles se poursuivaient, du reste, ailées et balancées. Aux bords des fenêtres dans lesquelles s’encadre la mer changeante ou bien s’étagent les arbres familiers de la cour ensoleillée et viride, c’était la romance qui s’essorait, et c’était l’isolement qui se chantait, la lointaine et fraîche patrie, ou des paroles d’amour parfumées au sachet d’une vieillotte et chère sentimentalité. L’étroitesse de l’île si éloignée d’Europe aggravait ce sentiment d’exil et des nostalgies langoureuses ceignaient en écharpe les âmes féminines ou masculines, vierges et adolescents. Chacun sentit ainsi sourdre en soi un filet de poésie et s’en flatta d’autant plus que