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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/75

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L’ADOLESCENCE EN BRETAGNE

mange ici avec la plupart des notabilités de la ville, hommes excellents, sans doute, mais entièrement dépourvus de toute idée avancée. Je sais que dans mon orgueil — et je ne saurais me le dissimuler — une envie de dominer, plus forte que ma volonté même, est en moi. Je sais encore qu’il ne m’appartient pas, enfant que je suis, de contrecarrer à tout moment les paroles d’hommes à cheveux gris ou blancs, qui devraient avoir l’expérience des choses, quoiqu’ils ne l’aient pas. Aussi vous ne sauriez croire quelle est la contrainte de toutes les minutes que j’éprouve, parmi des êtres non intelligents, qu’il m’importerait fort peu, au bout du compte, de froisser dans leurs niaises idées, si je n’avais des motifs plus puissants d’en agcir autrement. Février 1838.


Contrainte, car, lorsqu’on a perdu la belle liberté d’une vie s’exallant en pleine nature, on voudrait au moins jouir d’une enlière indépendance d’idées. Comme il est combatif, au lieu de se laisser aussitôt déprimer, il se relire des conversations pour mieux se rejeter sur les lectures : il les discute vivement dans ses lettres à Rouffet, où il peut les analyser du fort d’un critère républicain :


J. Sandeau, dont j’avais déjà lu la critique, rend justice à Dumas sous le rapport littéraire, mais l’attaque sur la donnée historique de Caligula. Je vous avoue que je suis encore à me demander où et comment il a outragé l’histoire. Ce critique l’accuse d’avoir fait de Cherea, vil amant de Messaline, un sybarite ; d’avoir travesti le républicain en courtisan. Il ne sait ce qu’il dit. Cherea ne cesse, dans tout le cours de la pièce, d’exprimer ses sentiments républicains. L’amour qu’il peint pour Messaline, sa courtisanerie envers l’empereur, ne sont que le masque dont il se sert pour voiler ses projets de liberté.