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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/86

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LECONTE DE LISLE

En décembre, il assiste à la dernière représentation, avec quels regrets ! Mme Dorval étant venue au cours de l’année, il écrit avec exaltation à Rouffet :


Imaginez-vous un front large et passionné, des yeux noirs qui expriment ce qu’ils veulent, une taille gracieusement brisée en avant, une voix cadencée, grave et austère, harmonieuse et douce, un geste ardent, majestueux et sévère, un jeu plein d’expression, de force, de naturel, de charme et d’intimité… Ou plutôt ne vous imaginez rien ; quels mots rendraient l’émotion irrésistible qui fait battre le cœur en face de Mme Dorval ? Il faut la voir et l’entendre.

*

La troupe est partie. L’étudiant fume, beaucoup, et c’est désormais la pipe qui tient le plus long rôle muet dans le déroulement nuageux de ses rêveries paresseuses et nostalgiques : il y met un moment tout son luxe, en faisant demander une d’écume garnie d’argent qu’il paie dix-huit francs chez un tourneur d’Auray, ce qui ne va pas sans lui attirer du désagrément de la part de son oncle. Il compose lentement des romances qui paraissent avec la musique de son ami Lemarchand dans le Journal des demoiselles. Ils se réunissent en bande d’étudiants : Drouin, Robioce qui « imprime comme un tigre royal dans le vénérable Dinannais, journal agricole », Paul Birgkmann, « un bon vivant, gros au moral comme au physique et parlant sa langue comme les épouses des taureaux d’Es-