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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/95

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L’ADOLESCENCE EN BRETAGNE


Se consumait, un jour, de regrets et de fiel,
Pour être heureux encore, oh ! contemplez Marie :
D’où viendrait le bonheur, si ce n’était du ciel ?


Loin de haïr le siècle à cause de la femme, ainsi que se formule le pessimisme de Vigny, Leconte de Lisle échappe au désespoir et au pessimisme par une confiance inaltérable en la femme. C’est en elle qu’il faut se réfugier et se fortifier :


Frère ! s’il faut une urne où ton âme oppressée
Épanche largement le flot de ta pensée ;
S’il faut un sanctuaire où l’élan de ton cœur
S’enferme loin du siècle, ignorant et moqueur ;
Il est un but sacré qu’un poète devine
Dans l’œuvre des humains et dans l’œuvre divine !
Ce but immense et pur, tendre et mystérieux.
Chaste et brûlant reflet des temps religieux !…
Ce saint oubli du mal, ô frère, c’est l’amour.


Mais de même que pour mieux aimer l’humanité il faut, en quelque sorte, s’en détacher, de même on doit aimer la femme de façon désintéressée, idéale, « platonique ». Et au fond Charles Leconte n’est pas sans penser que c’est afin de pouvoir aimer en sublimité l’humanité — marque d’une âme virile — qu’il faut chérir platoniquement la femme. Il importe de fuir, dans l’amour, les souffrances accidentelles qui aigriraient et décevraient l’âme individuelle au détriment de la communauté. L’amour de la femme doit être tel qu’il ne restreigne pas l’amour généreux qu’on doit porter à l’humanité.


Faut-il donc aimer, dites-vous, lorsque nul espoir ne nous est donné ? oui, mon ami, il faut aimer parce que l’amour c’est la poésie, et que, sans elle, la vie n’est