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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/108

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POÈMES TRAGIQUES.

Se dressait dans la nue affreuse ; et, tout autour,
Les carnassiers de l’air, aigle, corbeau, vautour,
De la griffe et du bec, effroyables convives,
Du sacré Rédempteur déchiraient les chairs vives !
Car les Onze, à ses pieds, rêvant du Paradis,
Dormaient tranquillement comme ils firent jadis.
Et la voix de Jésus emplissait les nuées :
— Mon flanc saigne toujours et mes mains sont clouées ;
L’apôtre et le fidèle, en ce siècle de fer,
M’abandonnent en proie aux bêtes de l’Enfer,
Et d’heure en heure, hélas ! Leur tourbillon pullule.
Lève-toi ! C’est assez gémir dans ta cellule ;
L’inactive douleur est risée aux Démons.
Va, mon fils ! Fuis dans l’ombre, et traverse les monts.
Pour ton Dieu qu’on blasphème et pour l’âme de l’homme,
Sans trêve, ni répit, marche tout droit sur Rome ;
Va, ne crains rien. Secoue avec un poing puissant
Le Siège apostolique où sommeille Innocent ;
Allume sa colère aux flammes de la tienne ;
Et qu’il songe à sauver la Provence chrétienne
Des légions de loups qui lui mordent les flancs :
Princes de ruse ourdis, en leur foi chancelants,
Poussant d’un pied furtif sur la mer écumante
La Barque de l’Apôtre en proie à la tourmente ;
Évêques arborant avec des airs royaux
La crosse d’or massif et la mitre à joyaux,
Tandis que sous l’injure et l’âpreté des nues
Les ouailles sans bergers grelottent toutes nues ;
Moines qui, n’ayant plus ni d’oreilles, ni d’yeux,