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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/128

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POÈMES TRAGIQUES.


Mais fièvre, soif, bataille et marches sans repos
Ont si bien travaillé par l’Orient vorace,
Qu’ils sont tous morts, semant les chemins de leurs os.

Pour lui, dur et robuste et fort têtu de race,
L’armée en désarroi, demeura, seul des siens,
Et le sable, au désert, ensevelit sa trace.

Ses proches, ses amis, ses serviteurs anciens
Ont vécu, sans espoir que le temps le ramène,
Le croyant trépassé chez les peuples païens.

Ils dorment au tombeau, las d’une attente vaine ;
Et la ronce et l’ortie ont obstrué depuis
Les coteaux et les champs de l’antique domaine.

Les fossés sont à sec, l’eau stagnante des puits
Décroît. Sans révéler rien de ses destinées,
Aux monotones jours ont succédé les nuits.

Mystérieusement, après soixante années,
Le voici reparu sur les coteaux du Rhin
D’où, jeune, il déploya ses ailes déchaînées.

Il n’est point revenu, pauvre, la corde au rein,
Avec l’humble bourdon et les blancs coquillages,
Par les routes, pieds nus, tel qu’un vieux pèlerin.

On n’a point vu passer de somptueux bagages
Escortés de captifs faits aux peuples maudits,
Cheminant et ployant sous le poids des pillages.