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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/132

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POÈMES TRAGIQUES.


Le duc Magnus n’entend ni les cris ni les bonds
Du vent qui s’évertue à travers les décombres
Et culbute en courant les hiboux aux yeux ronds.

Le rude seigneur songe à des choses plus sombres :
Ses vieilles actions le hantent chaque nuit
De plus vivants sanglots et de plus mornes ombres.

Tandis qu’il va le long du mur rugueux qui luit,
Assailli par le flux de son passé tenace,
L’œil mi-clos du Chien noir l’espionne et le suit.

Dès qu’il tourne le dos, cet œil plein de menace
Avec avidité darde un éclair haineux
Qui s’éteint brusquement quand le maître repasse.

Puis, le Chien souffle et fait vibrer ses reins noueux.
Et les trois Sarrasins, roides, comme en extase,
Sont là debout. Qui sait si la vie est en eux ?

Un immuable rire aux dents, la tête rase,
Ils rêvent, flagellés par les rouges reflets
De l’âtre crépitant où la souche s’embrase.

Sur la grêle cheville et les bras violets
Qui pendent aux deux bords de leur veste grossière,
Étincelle l’argent de triples bracelets.

Ils gardent fixement ouverte la paupière,
Où luisent deux trous blancs sous le front ténébreux.
On dirait un seul homme en trois spectres de pierre.