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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/160

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POÈMES TRAGIQUES.


Transperçant çà et là les hautes nefs massives,
Dans l’air empli d’arome immobile et de paix
L’invisible soleil darde l’or de ses rais,
Qui sillonnent d’un vol grêle de flèches vives
La sombre majesté des feuillages épais.

Les grands Élans, couchés parmi les cyprières,
Sur leurs dos musculeux renversent leurs cols lourds ;
Les panthères, les loups, les couguars et les ours
Se sont tapis, repus des chasses meurtrières,
Au creux des arbres morts ou dans les antres sourds.

Écureuils, perroquets, ramiers à gorge bleue
Dorment. Les singes noirs, du haut des sassafras,
Sans remuer leur tête et leurs reins au poil ras,
A la branche qui ploie appendus par la queue,
Laissent inertement aller leurs maigres bras.

Les crotales, lovés sous quelque roche chaude,
Attendent une proie errante, et, par moment,
De l’ombre où leurs fronts plats s’allongent lentement,
Le feu subtil de leurs prunelles d’émeraude
Luit, livide, et jaillit dans un pétillement.

Assis contre le tronc géant d’un sycomore,
Le cou roide, les yeux clos comme s’il dormait,
Une plume d’ara, jaune et pourpre, au sommet
Du crâne, le Sachem, le dernier Sagamore
Des Florides, est là, fumant son calumet.