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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/27

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L’APOTHÉOSE DE MOUÇA-AL-KÉBYR.


C’est l’heure de la mort. Le supplice est au terme.
Voici le carrefour funèbre et le pavé.
Un sombre Éthiopien dégaîne d’un poing ferme
Le sabre grêle et long tant de fois éprouvé.

La foule, alors, dont l’œil multiple se dilate,
Voit se transfigurer l’homme aux membres sanglants.
Ses haillons sont d’azur, d’argent et d’écarlate ;
La cotte d’acier clair luit et sonne à ses flancs.

Il n’est plus garrotté sur le morne squelette
Qu’un eunuque abruti traîne par le licou,
Et qui geint de fatigue, et qui butte, et halète,
Et tend son maigre col d’un air sinistre et fou.

Eunuque, Éthiopien, âne poussif et gauche,
Tout s’efface. Lui seul surgit, l’épée en main.
Sa barbe et ses cheveux rayonnent. Il chevauche
La Créature auguste aux lèvres de carmin,

Aux serres d’aigle, avec dix blanches paires d’ailes,
Al-Borak, dont la croupe est comme un bloc vermeil,
Et qui, telle qu’un paon constellé de prunelles,
Élargit la splendeur de sa queue au soleil.

Agitant ses crins d’or, la céleste Cavale,
Dans la sérénité de l’air silencieux,
D’une odeur ineffable embaume l’intervalle
Qu’elle a franchi d’un bond en s’envolant aux cieux.