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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/35

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LE SUAIRE DE MOHHAMED.


Brandissant la bannière auguste des Khalyfes,
Plus blanche que la neige intacte des sierras,
Tu foulais la panthère au poil luisant et ras
Qui sur le chaud poitrail, ainsi que font deux bras,
Éclatante, agrafait l’argent de ses dix griffes.

Devant le Paradis promis aux nobles morts,
Sans peur des hurlements de ces chacals voraces,
Qui d’entre nous, honteux de languir sur tes traces,
Conduit par ta lumière, Étoile des trois races,
N’eût lâché pour mourir les rênes et le mors ?

Torrent d’hommes qui gronde, écroulé d’un haut faîte,
Mer qui bat flot sur flot le roc dur et têtu,
Sur l’idolâtre impur, mille fois combattu,
Tu nous as déchaînés, ivres de ta vertu,
Glorieux fils d’Amer, ô Souffle du Prophète !

Le choc terrible, plein de formidables sons,
A fait choir les vautours des roches ébranlées,
Et les aigles crier et s’enfuir par volées,
Et plus loin que les monts, les cités, les vallées,
Sans fin, s’est engouffré vers les quatre horizons.

Hélas ! les étalons, ployant leurs jarrets grêles,
De l’aube au soir, dans un âpre fourmillement,
Ont bondi, les crins droits et le frein écumant,
Leur naseau rose en feu, par masse, éperdument,
Comme un essaim strident d’actives sauterelles.