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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/51

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L’ILLUSION SUPRÊME.


Celui qui va goûter le sommeil sans aurore
Dont l’homme ni le Dieu n’ont pu rompre le sceau,
Chair qui va disparaître, âme qui s’évapore,
S’emplit des visions qui hantaient son berceau.

Rien du passé perdu qui soudain ne renaisse :
La montagne natale et les vieux tamarins,
Les chers morts qui l’aimaient au temps de sa jeunesse
Et qui dorment là-bas dans les sables marins.

Sous les lilas géants où vibrent les abeilles,
Voici le vert coteau, la tranquille maison,
Les grappes de Letchis et les mangues vermeilles
Et l’oiseau bleu dans le maïs en floraison ;

Aux pentes des Pitons, parmi les cannes grêles
Dont la peau d’ambre mûr s’ouvre au jus attiédi,
Le vol vif et strident des roses sauterelles
Qui s’enivrent de la lumière de midi ;

Les cascades, en un brouillard de pierreries,
Versant du haut des rocs leur neige en éventail ;
Et la brise embaumée autour des sucreries,
Et le fourmillement des Hindous au travail ;

Le café rouge, par monceaux, sur l’aire sèche ;
Dans les mortiers massifs le son des calaous ;
Les grands-parents assis sous la varangue fraîche
Et les rires d’enfants à l’ombre des bambous ;