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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/59

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LE TALION.


Et ces morts remuaient leurs os chargés de fers,
Et j’entendais, du fond de l’horizon qui gronde,
Pareille au bruit du flux croissant des hautes mers,
Une Voix qui parlait au milieu des éclairs
          En ébranlant le monde.

Elle disait : — Ô Loups affamés et hurlants,
Princes de l’aquilon, ivres du sang des justes !
Dans les siècles j’ai fait mon chemin à pas lents ;
Mais je viens ! je romprai de mes poings violents
          Vos mâchoires robustes.

Le jour de ma colère, ô Rois, flamboie enfin :
Voici le fer, le feu, le poison et la corde !
J’étancherai ma soif, j’assouvirai ma faim.
Le torrent de ma rage est déchaîné, le vin
          De ma fureur déborde !

Il est trop tard pour la terreur ou le remords,
Car le crime accompli jamais plus ne s’efface,
Car j’arrache les cœurs féroces que je mords,
Car mon peuple a dressé la foule de ses morts
          La face vers ma face !

Ô Princes ! c’est pourquoi vous ne dormirez point
Au tombeau des aïeux, immobiles et graves,
Sous le suaire où l’or à la pourpre se joint,
Votre couronne au front et votre épée au poing,
          Comme dorment les braves.