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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/184

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Et, l’entraînant ainsi de douleurs en douleurs,
Le clouer au gibet entre les deux voleurs !

Ô Christ ! tu vas enfin épuiser ton calice !
Et ployé, chancelant sous l’arbre du supplice,
Par l’ardeur du soleil et les sentiers pierreux,
Tu vas suivre, pieds nus, ton chemin douloureux !
Qu’il sera long, Seigneur, et qu’il sera terrible
Ce chemin qui conduit à ta mort impossible !
Ô Rédempteur, pour qui les siècles sont un jour,
Ce jour va contenir des siècles à son tour !
Que d’angoisses encor t’attendent au passage !
Oh ! que de pleurs amers vont brûler ton visage !
Abandonné du monde et du ciel, ô Seigneur,
Combien tu vas saigner dans ta chair et ton cœur ;
Combien, toujours percé d’une atteinte plus sûre,
Chaque pas va rouvrir et creuser ta blessure !

Mais, ô Verbe infini, ce mal immérité,
Tu l’as voulu subir de toute éternité !
En déroulant des cieux les tentures sublimes,
En versant l’Océan dans ses larges abîmes,
Immuable, absolu, d’éclairs environné,
Tu rachetais dès lors le monde nouveau-né !
L’homme à peine échappait à la main créatrice,
Que ton amour pour lui s’offrit en sacrifiée :
Ta pardonnais déjà quand tu pouvais punir ;
Et lavant de ton sang ses forfaits à venir,
Pour le guider parmi les ombres de la terre,
Tu fis briller ta Croix dans sa nuit solitaire !