Aller au contenu

Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jaloux de prolonger le supplice trop prompt,
Ou de multiplier la torture et l’affront,
Ils voulaient que du moins, avant l’heure suprême,
Jésus endurât plus que la mort elle-même !

À cette heure, Simon revenait de son champ,
Et du mont escarpé descendait le penchant.
Du côté de Damas, secouant sa poussière,
Il a franchi la porte aux deux piliers de pierre,
Il entre ; et les clameurs et les hennissements
L’environnent. Il voit, accablé de tourments,
Frappé, poussé, raillé, tout assiégé de haine,
Jésus qui, sous le faix mortel ploie et se traîne,
Et sent naître en son cœur, tout surpris d’être ému,
Une vague pitié pour cet homme inconnu ;
Mais tandis qu’il hésite, au milieu du tumulte
Un cavalier l’appelle avec des cris d’insulte :
On le contraint d’aider le divin condamné ;
Et le Cyrénéen obéit, étonné,
Et saisissant la Croix de sa main rude et forte,
Il en prend une part, la soulève et l’emporte.

Simon ! toi qui prêtais ton épaule et tes bras
Au Rédempteur du monde, et qui ne savais pas
À quelle tâche auguste, à quelle œuvre sublime
Tu vins mêler ta force inculte et magnanime,
Heureux es-tu, Simon, d’avoir jadis porté
Ce céleste fardeau qui te sera compté ;
Car nul ne peut toucher à la Croix éternelle
Sans que Grâce ou Vertu s’éveille et sorte d’elle !