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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/229

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le caractère à la fois spéculatif et pratique de ce temps est de n’accorder qu’une attention rapide et une estime accessoire à ce qui ne vient pas immédiatement en aide à son double effort, et qu’il ne se donne ni trève ni repos. Des commentaires sur l’Évangile peuvent bien se transformer en pamphlets politiques ; c’est une marque du trouble des esprits et de la ruine théologique ; il y a ici agression et lutte sous figure d’enseignement ; mais de tels compromis sont interdits à la Poésie. Moins souple et moins accessible que les formes de polémique usuelle, son action serait nulle et sa déchéance plus complète.

Ô Poètes, éducateurs des âmes, étrangers aux premiers rudiments de la vie réelle, non moins que de la vie idéale ; en proie aux dédains instinctifs de la foule comme à l’indifférence des plus intelligents ; moralistes sans principes communs, philosophes sans doctrine, rêveurs d’imitation et de parti pris, écrivains de hasard qui vous complaisez dans une radicale ignorance de l’homme et du monde, et dans un mépris naturel de tout travail sérieux ; race inconsistante et fanfaronne, épris de vous-mêmes, dont la susceptibilité toujours éveillée ne s’irrite qu’au sujet d’une étroite personnalité et jamais au profit de principes éternels ; ô Poètes, que diriez-vous, qu’enseigneriez-vous ? Qui vous a conféré le caractère et le langage de l’autorité ? Quel dogme sanctionne votre apostolat ? Allez ! Vous vous épuisez dans le vide, et votre heure est venue. Vous n’êtes plus écoutés, parce que vous ne reproduisez qu’une somme d’idées désormais insuffisantes ; l’époque ne vous entend plus, parce que vous l’avez importunée de vos plaintes stériles, impuissants