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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/260

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trente ans l’assaut incessant de la critique sans recul, sans arrêt, et qui assiste encore à son propre triomphe, plus fort qu’aux heures orageuses de sa jeunesse littéraire, maniant avec une certitude puissante l’instrument magnifique qu’il s’est forgé. Victor Hugo a conquis la gloire qui s’est offerte à l’auteur des Méditations. Je l’affirme donc résolument : la marque d’une infériorité intellectuelle caractérisée est d’exciter d’immédiates et unanimes sympathies. Que de noms à l’appui ! Béranger, Scribe, Delavigne, Paul Delaroche, Horace Vernet et tant d’autres. Aussi, M. de Lamartine, malgré ses brillantes qualités d’écrivain, n’est-il pas un artiste. Il n’en possède ni les dons créateurs ni le sens objectif. Les incroyables jugements qu’il a portés sur André Chénier et sur La Fontaine témoigneraient seuls, au besoin, de l’exactitude du fait, si son œuvre propre ne le démontrait surabondamment.

Le vers des Méditations, ample et mou, n’a ni ressort ni flamme. La lymphe en gonfle les contours onctueux. Son énervement le contraint de s’en remettre au vers qui le suit du soin de le soutenir, et tous fondent l’un dans l’autre, à pleine strophe. La pensée qu’ils expriment participe nécessairement de leur vague confusion. Le poète se demande à satiété ce que peuvent être le temps, le passé, Dieu et l’éternité ; mais il ne se répond jamais, par l’excellente raison qu’il s’en inquiète assez peu. Ce sont des lieux communs propices à des développements indéterminés. Il en résulte que la mélopée lyrique en elle-même n’est plus qu’une longue lamentation musicale non rhythmée qui se noie finalement dans les larmes. On sait