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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/262

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qui a retrouvé, dans Jocelyn, les émotions débilitantes qui lui conviennent.

Ce poème est la révélation complète d’une nature d’esprit qui, je l’avoue, me blesse et m’irrite dans toutes mes fibres sensibles. Sauf de rares morceaux pleinement venus, il y a dans ce gémissement continu une telle absence de virilité et d’ardeur réelle, cette langue est tellement molle, efféminée et incorrecte, le vers manque à ce point de muscles, de sang et de nerfs, qu’il est impossible d’en poursuivre la lecture et l’étude sans un intolérable malaise. Jocelyn n’aime ni son Dieu ni sa maîtresse ; ses actes ne sont déterminés ni par la volonté ni par la passion ; il cède à tous les souffles qui l’atteignent et flotte perpétuellement du désespoir à la résignation, sans se résoudre à rien. Laurence est plus nulle encore que son déplorable amant. L’immense succès de ce roman donne, en dernier lieu, la mesure de ce qu’il vaut. Mais je n’insiste pas. M. de Lamartine a fait mieux que les Méditations et que Jocelyn, mieux que les Harmonies ; il a écrit la Chute d’un Ange. Mon sentiment à ce sujet est celui du très petit nombre, je le sais. La critique, d’ordinaire si élogieuse, a rudement traité ce poème, et le public lettré ne l’a point lu ou l’a condamné. La critique et le public sont des juges mal informés. Les conceptions les plus hardies, les images les plus éclatantes, les vers les plus mâles, le sentiment le plus large de la nature extérieure, toutes les vraies richesses intellectuelles du poète sont contenues dans la Chute d’un Ange. Les lacunes, les négligences de style, les incorrections de langue y abondent, car les forces de l’artiste ne suffisent pas toujours à la