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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/298

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dent défenseur des aspirations modernes, l’évocateur de la République universelle couvait déjà dans l’enfant qui anathématisait à la fois, en 1822, la Révolution et l’Empire, et chantait la race royale revenue derrière l’étranger victorieux. Destiné qu’il était à incarner en quelque sorte la conscience agitée de son siècle, à être comme le symbole vivant, comme le clairon d’or des idées ondoyantes, des espérances, des passions, des transformations successives de l’esprit contemporain, il devait, avec la même sincérité et la même ardeur, développer ses merveilleux dons lyriques, de ses premières odes à ses derniers poèmes, par une ascension toujours plus haute et plus éclatante. Il devait moins changer, comme on le lui a reproché tant de fois, qu’il ne devait grandir sans cesse, dans l’ampleur de sa puissante imagination et dans la certitude d’un art sans défaillance.

Quelles que soient, d’ailleurs, les causes, les raisons, les influences qui ont modifié sa pensée, bien qu’il se soit mêlé ardemment aux luttes politiques et aux revendications sociales, Victor Hugo est, avant tout, et surtout, un grand et sublime poète, c’est-à-dire un irréprochable artiste, car les deux termes sont nécessairement identiques. Il a su transmuter la substance de tout en substance poétique, ce qui est la condition expresse et première de l’art, l’unique moyen d’échapper au didactisme rimé, cette négation absolue de toute poésie ; il a forgé, soixante années durant, des vers d’or sur une enclume d’airain ; sa vie entière a été un chant multiple et sonore où toutes les passions, toutes les tendresses, toutes les sensations, toutes les colères généreuses qui ont agité,