Aller au contenu

Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en ramenait cette bête égarée. Ève ! Ève ! Voilà la bonne leçon tardive : toi et moi avons versé la vie et il m’en reste une soif âcre. Mais le chien nous enseigna la tendre sympathie. À présent, quand la faim nous pressera, j’irai au bois avec des mains gauches et lourdes comme un morne sacrificateur résigné. Cette fille amoureuse et cruelle étrangement se mit à rire, connaissant son jeune pouvoir.

Nous ramenâmes donc ce jour-là une bête nouvelle vers la maison. L’ayant caressée, je dis à Ève : « De quel nom l’appellerons-nous ? » Elle frappa dans ses mains et me répondit : « Eh bien, nommons-la Famine puisque celui-là s’appelle Misère. » Quelle drôle d’idée tu eus là, chère Ève ! Et cependant il n’était pas plus étrange que cette chienne s’appelât Famine que l’autre Misère ! Misère et Famine toujours firent bon ménage ensemble. L’une ne va pas sans l’autre. Ainsi, en riant, tu dis là une chose profonde qui m’émut. Je passai la main sur le clair regard timide de la bête, je lui soufflai aux naseaux ;