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Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/112

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jus acide et stimulant de la pomme des bois où je mettais les dents après les tiennes.

Nous allions ainsi dans le jardin d’Éden, écoutant les chansons et regardant s’ouvrir les fleurs, comme le premier homme et la première femme ignorants des surprises de la terre. Et le vent aussi nous était inconnu comme les arbres et la source et chaque soir et chaque matin. Ève quelquefois restait un long temps penchée sur une herbe ou vers le grésillement léger des sèves. Cependant elle ne comprenait pas encore la beauté de la fourmi, du scarabée et du ver de terre. De la main, en riant, elle les déviait, comme s’il eût dépendu de ce geste que l’ordre du monde fût changé. Mais, après un court suspens, ils reprenaient le chemin qu’ils avaient suivi d’abord. Et ainsi ils accomplissaient leur destinée. Moi alors petit à petit je tâchai de m’initier au sens de la vie. Vois-tu, Beauté, tu mets là ta main ou un obstacle léger afin de contrarier la petite chose divine qu’ils font. Mais il y a derrière ta main une autre main que nous ne connaissons pas et qui, malgré